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plus étrange que de dépouiller le dossier des cochers de Paris, on découvrirait là des mystères sociaux ; que l’imagination la plus féconde ne saurait se figurer.

A propos d’un procès célèbre, on a beaucoup parlé, il y a quelques années, des cochers de fiacre ; on a imaginé des statistiques baroques, et l’on a publié que plus de 700 prêtres interdits ou défroqués appartenaient au service des voitures publiques. Cette prétendue découverte eut du retentissement ; le parlement anglais s’en occupa incidemment, et des explications furent demandées à la préfecture de police. Comme toujours l’esprit de parti s’était mêlé de cette affaire et l’avait singulièrement exagérée. Il y a des prêtres réfractaires parmi les cochers parisiens, ceci n’est point douteux, mais ils sont en nombre infime, et je puis affirmer en connaissance de cause que depuis douze ans un seul s’est présenté pour demander son inscription de cocher. En revanche, les bacheliers ès lettres abondent, et du haut de leur siège ils peuvent dire en se rappelant un vieux souvenir de collège :

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

Les cochers ont un vice qui leur est spécial ; ils paraissent pour la plupart n’avoir sur le droit de propriété que des notions peu distinctes et tout à fait insuffisantes. Je ne veux pas dire par là qu’ils détroussent les passans et crochètent les serrures ; non, mais en général ils considèrent volontiers la caisse de leur administration comme une caisse commune à laquelle il n’est point criminel de puiser de temps en temps. Les calculs les plus modérés, estiment que chaque cocher détourne en moyenne 3 francs par jour ; or il y a à Paris 6,101 voitures de louage payées à la course ou à l’heure. Les cochers s’attribuent donc par an la somme de 6,680,595 francs ; c’est presque un budget. On a essayé de bien des moyens pour arrêter cette fraude permanente, on a toujours échoué. La préfecture de police, la préfecture de la Seine, la Compagnie générale, ont proposé un prix important pour l’inventeur d’un compteur infaillible qui serait à l’abri du cocher et du client. On n’a point réussi jusqu’à présent. Le problème en effet n’est point facile à résoudre. Il faudrait que l’appareil indiquât d’une façon positive l’espace parcouru, le temps employé à le parcourir, les momens de repos, la vitesse du cheval, enfin si la voiture a été louée à l’heure ou à la course. On cherche, on fait des essais ; mais en admettant qu’on découvre le chef-d’œuvre rêvé, je ne, donne pas huit jours aux cochers pour l’avoir rendu aussi menteur, que leur feuille de travail. Qui ne se souvient de ces fameux cabriolets-compteurs dont le