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qui la composent ; le fiacre à quatre places en compte cent soixante-trois parfaitement distinctes les unes des autres.

Au-dessous de ces larges magasins si bien approvisionnés s’étendent les ateliers de carrosserie et de charronnage ; c’est là qu’on assemble les pièces de menuiserie, qu’on les ferre, qu’on les couvre, qu’on les peint et qu’on les vernit, pendant que dans une salle voisine les bourreliers tirent l’aiguille, taillent le cuir et bourrent les colliers à grand renfort de filasse. C’est une activité merveilleuse ; les voitures naissent et grandissent à vue d’œil. J’ai pu voir là ces trois cents paniers reluisans, coquets, tout battant-neuf, qu’on a mis récemment en circulation. On s’ingénie sans relâche à deviner et à satisfaire les goûts du public.

Dans une autre partie de l’établissement, en face, dans la même rue, gronde une machine forte de vingt chevaux qui fait mouvoir les forges et la scierie. Les martinets, les tours, les forets, les meules, obéissent à la vapeur, qui enfle aussi les soufflets et fait fonctionner le ventilateur ; c’est là qu’on coude les cols de cygne, qu’on assemble les ressorts, qu’on bat les essieux, dont on tourne les fusées selon un calibre voulu. Les ouvriers, noircis, en sueur, protégés par le large tablier de cuir, vont et viennent à travers ces fournaises retentissantes où jaillissent les étincelles, où les enclumes résonnent en cadence sous le choc assuré des frappe-devant. À ce bruit se mêle celui de la scierie mécanique, qui est voisine. Les pièces de bois, les troncs d’arbres, amenés à l’aide d’un petit chemin de fer et livrés aux dents aiguës, sont dépecés, débités, taillés avec une rapidité vertigineuse ; le ronflement précipité de la scie à rubans est dominé par le cri horrible de la scie circulaire, qui ne laisse même pas entendre le va-et-vient de la scie à mouvement alternatif : c’est une rumeur folle où les notes aiguës éclatent avec une violence extraordinaire et troublent comme l’appel désespéré d’un animal féroce. Dans les cours sont rangés les troncs d’arbres qui attendent que le temps liés ait suffisamment desséchés ; ils sont déjà sciés en planches qu’on empile l’une sur l’autre en les séparant par un tasseau afin que la libre circulation de l’air puisse en activer la dessiccation.

Quand une voiture est sortie des ateliers de la rue Stanislas, elle n’y rentre jamais que pour être cassée[1]. Toutes les réparations dont elle peut avoir besoin pendant le cours de son existence doivent être faites au dépôt qui lui est assigné. Lorsqu’elle a reçu son numéro et ses timbres administratifs, la Compagnie générale lui

  1. Le fiacre neuf sortant des ateliers pèse 575 kilogrammes ; il peut contenir quatre personnes, plus le cocher, à 70 kilogrammes en moyenne. Les chevaux, lorsque la voiture est au complet, ont donc un poids de 925 kilogrammes à mettre en mouvement.