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Haine, orgueil, vengeance, tels sont les ressorts de ce caractère. Althée, une fois ses passions déchaînées, tient de la bête féroce. Elle tue comme l’animal que la nature, dans ses formidables mystères, a chargé à certains momens de la fonction de détruire, comme le bouc qui dévore ses petits. On dirait que M. Swinburne a pris au sérieux le mythe de Prométhée recueillant une parcelle dans chaque nature d’animal et la déposant au fond du cœur de l’homme. Avec une énergie obstinée, il dégage de l’âme humaine l’instinct bestial.qui brise sa barrière et s’échappe dans sa sauvage liberté. C’est là proprement la fatalité qui plane sur sa tragédie, la fatalité impie au rebours de celle qui remplit les poètes grecs. Écoutez cet hymne de la révolte, ces lyriques blasphèmes du chœur, dont on a peine à rendre la sombre et infernale beauté !


« O Dieu, tu nous as comblés de ta haine, tu as ôté la vue à nos yeux, tu nous as créés éphémères et livrés au hasard, êtres petits et chétifs. Tu nous as réchauffés de ton baiser et frappés de tes coups. De ta gauche, tu as mis la vie en nous, et tu as dit : Vivez ! De ta droite, tu as mis en nous la mort, et tu as dit : Expirez ! Tu nous as envoyé le sommeil, et tu l’as coupé d’affreux rêves, disant : La joie n’est pas, l’humanité n’aura que le désir de la joie. Tu nous as donné des sources délicieuses, mais qui aboutissent à une mer toute d’amertume. Tu nourris une rose avec la cendre d’une infinité d’hommes. Tu flétris une seule joue avec des ruisseaux infinis de larmes. Tu nous ôtes l’amour, et tu donnes en échange la douleur. Parce que tu es fort, ô notre père, et que nous sommes faibles, parce que tu es notre ennemi, que ton bras nous pousse dans les récifs de la mer et nous brise aux écueils du rivage ; parce que tu as bandé ta foudre comme un arc, lancé les heures comme des traits, jeté parmi nous le crime, les paroles de haine, mille maux qui ont l’aile de l’éclair et une fin commune pour tous ; parce que tu as fait le tonnerre, que tes pieds sont comme les cataractes du ciel, que ta face est comme un feu brûlant et tes yeux comme la flamme ; parce que tu es au-dessus de tout ce qui est au-dessus de nous, que ton nom est la vie et que le nôtre est la mort ; parce que tu es cruel et que nous sommes misérables, que nos mains travaillent et que les tiennes détruisent ; vois, malgré nos cœurs déchirés et nos genoux tremblans, avec des lèvres mortelles et un souffle passager, nous témoignons du moins avant de mourir que le monde est ainsi et pas autrement, que tout homme soupire dans son cœur et dit : Tous, oui tous ! nous sommet tes ennemis, ô Dieu tout-puissant ! »


On rapporte qu’Euripide, un des maîtres de l’auteur anglais, fut plusieurs fois forcé de conjurer la colère du peuple au milieu de quelque passage téméraire sur les dieux : qu’auraient dit les Athéniens en entendant ce pæan de l’impiété ? Où auraient-ils trouvé assez de pierres pour lapider M. Swinburne ? Il est vrai que le chœur finit par s’exhorter lui-même à la patience ; mais ce n’est qu’un refrain