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sœur de la muse grecque, quoiqu’elle ignorât Homère. Avec cela, supposez la lecture des dictionnaires de la fable, car la mythologie ne s’invente pas, et vous avez l’un des plus singuliers tempéramens de poète que l’Angleterre ait produits.

On devine quels sont les résultats de ce paganisme entrevu par l’imagination et arrangé par la fantaisie. Keats se fit un monde idéal qui n’était ni l’antique ni le moderne, ni sur la terre ni dans le ciel, un monde qui résidait dans sa pensée. Son poème d’Endymion en est un échantillon très original. Son berger divin n’est autre que lui-même. Le poète et le héros ne respirent que l’amour et la gloire, même amour chaste et pur, même gloire, l’immortalité, qui est le lot des grands poètes. C’est Keats qui aime Diane, il parle quelque part en son propre nom comme s’il était jaloux d’elle, c’est lui qui voudrait être dieu, et il prête à la divine maîtresse qu’il se donne le plus tendre amour pour Keats-Endymion. Endymion préfère à tout, à la vie peut-être, le sommeil, parce que dans le sommeil il reçoit la visite de la divinité. J’imagine que Keats se plaisait à rêver ainsi pour vivre dans un monde plus beau ; je ne l’imagine pas, il le dit assez lui-même dans sa belle pièce Sleep and poetry, où se trouve cette définition poétique si connue : « la vie, c’est le sommeil de l’Indien au fond de sa pirogue au-dessus du rapide qui va l’engloutir. »

Chateaubriand s’est-il donc trompé quand il a dit que la mythologie rapetissait la nature ? Voilà un poète, un vrai poète, dont l’âme est attristée s’il ne parvient à repeupler la campagne de faunes, de satyres et de nymphes. Derrière le soleil couchant « dont le rayon allongé tantôt illumine une forêt, tantôt forme une tangente d’or sur l’arc roulant des mers, » ce jeune homme du XIXe siècle a besoin d’entrevoir encore le blond Phébus, qui plonge ses chevaux enflammés au sein frémissant des eaux. Il relève très innocemment Priape sur son tronc d’olivier, et, sans penser à mal, donne le signal aux danses éternelles de Vertumne, des nymphes et des sylyains.

Le paganisme de Keats. n’est pas seulement spontané, il est personnel ; il tient à sa nature même. L’univers n’était pas assez beau pour lui ; il lui fallait une vie qui fût une extase continue, des mélodies plus douces que celles qu’il est donné à l’oreille humaine d’entendre, des chants qui n’eussent pas de fin, un amour, une beauté que le temps ne flétrît pas, un printemps éternel, des arbres toujours verts, des fleurs toujours fraîches. Sa poésie intitulée A grecia urn (Odes sur une urne grecque), fera bien comprendre à la fois et cette soif de plaisirs fabuleux, de joies surhumaines, et ce parti-pris de chercher son idéal dans un âge d’or mythologique. Par une heureuse rencontre, c’est aussi l’une des pièces les plus parfaites du jeune poète.