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chants populaires ; on en a vu jaillir une poésie souvent pleine de fraîcheur, la seule qui, en bon langage, devrait porter le nom de romantique. Ailleurs ceux qui ont été mieux inspirés se sont adressés à la veine réellement primitive, celle du cœur de l’homme ; ils en ont tiré des inspirations vraiment humaines, celles qui feront l’éternel honneur de notre temps. Mais toutes les eaux se troublent, toutes les sources s’épuisent ; il faut du temps pour que de nouveau elles se remplissent. Le moyen âge est à peu près abandonné ; ce qu’on appelle la poésie humaine a été ou est devenu personnel avec tous les défauts qu’entraîne ce caractère. En ce moment, la poésie grecque et mythologique semble profiter de la corruption et de l’épuisement des autres.

Pour nous en tenir à l’Angleterre, le paganisme de l’art a deux époques dans notre siècle. Sans former un groupe nombreux, il avait plusieurs adhérens, autour de Leigh Hunt et de ce qu’on appelait l’école italienne ; il florissait avec Keats vers 1820. Il essaie aujourd’hui de reprendre sa place et d’avoir sa seconde époque. Si nous faisions une revue de tout ce que l’hellénisme aurait le droit de réclamer dans la poésie actuelle, plus d’un nom viendrait sous notre plume ; un seul pourtant est tout d’un coup sorti de la foule. Une tragédie antique d’une grande beauté, de remarquables drames sur des sujets modernes, un volume de vers d’une puissance peu commune, ont successivement provoqué l’admiration, donné l’alarme, et enfin appelé la foudre, ce n’est pas trop dire, sur un poète qui n’a pas trente ans. D’où vient cette émotion générale ? C’est que le païen nouveau est un Polyeucte du paganisme ; « la foi qu’il a reçue aspire à son effet. » Négation de la Providence, rébellion contre tout ce qui est divin (car c’est de l’antithéisme plutôt que de l’athéisme), sensualité emportée et levant le bras contre le ciel, voilà ce qu’un jeune talent vient d’annoncer à la religieuse Angleterre. Ce n’est pas de l’éclat, c’est du scandale qu’a produit le dernier volume de ce néophyte du paganisme. Est-ce l’indice de funestes tendances ? est-ce une soudaine lumière sur l’état moral des esprits, particulièrement dans la jeunesse des universités ? Jusqu’à quel point la génération nouvelle est-elle complice de tels égaremens ?

Si nous abordions immédiatement les œuvres de M. Swinburne, il serait malaisé de trouver une solution à ce problème : nous ne saurions dire à quel degré le paganisme des poètes était entré avant lui dans les habitudes littéraires et morales du public. Il est donc utile de rappeler, pour ainsi dire, les précédens, et le poète John Keats est celui qui nous en donnera la plus juste idée. Comment les conceptions païennes ont-elles été reçues par le public de 1820, à