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sévérité les changemens d’opinions. A Sainte-Hélène, Napoléon expliquait presqu’en moraliste les défections dont il avait été l’objet. « Ils ne m’ont point trahi, disait-il, ils m’ont abandonné, et c’est bien différent. Les traîtres sont plus rares que vous ne le croyez. Les grands vices, les grandes vertus sont des exceptions. La masse des hommes est faible, mobile, cherche fortune où elle peut, fait son bien sans vouloir le mal d’autrui, et mérite plus de compassion que de haine. Prenez les guerres de religion en France, en Angleterre, en Allemagne ; vous y trouverez de ces changemens intéressés en aussi grand nombre et pour d’aussi petits motifs. Henri IV en a vu autant que moi et que Louis XVIII. » Que l’homme varie, c’est la nature, on ne doit pas s’en indigner ; mais au moins faudrait-il dans ces variations sinon toujours le désintéressement, au moins un peu de pudeur et de dignité. Ces abandons précipités des pouvoirs qui tombent, ces génuflexions idolâtres devant les pouvoirs qui s’élèvent, ces larmes affectées, ces raffinemens de zèle, ces extases, le spectacle de ces hommes qui, dans leurs mutations rapides, ne savent pas rester maîtres d’eux-mêmes, et montrent un empressement fébrile à changer de servitude, tout cela, il faut l’avouer, inspire des réflexions pénibles. On voudrait dans les catastrophes nationales plus de calme, plus de décence, surtout plus de tristesse.

M. Beugnot joua un rôle très actif sous la première restauration ; mais il garda peu de temps le ministère de l’intérieur. Le faubourg Saint-Germain le trouvait trop bourgeois. « C’était bon du temps de Bonaparte, disait la marquise de Simiane ; aujourd’hui il faut mettre dans les ministères des gens de qualité ayant à leurs ordres de bons travailleurs qui font les affaires. » M. Beugnot ne tarda pas à être évincé du ministère par l’abbé de Montesquiou. Tout affligé qu’il en était, il eut besoin de consoler son entourage. « Les femmes des ministres, nous dit-il, sont d’un peu plus de moitié dans la joie de leur arrivée, et prennent une part plus grande encore dans le chagrin de leur chute. » M. Beugnot conjura son mari d’accepter, à titre de compensation, la direction générale de la police. Il se laissa aisément persuader. C’est en qualité de ministre de la marine qu’il suivit le roi à Gand. « Il semblait alors, nous dit-il qu’on fût à la fin d’un bal masqué ; chacun jetait son masque et reprenait ses habits de la veille. » A Paris, le comte de Ségur, armé de son bâton de grand-maître des cérémonies, rétablissait l’étiquette du palais impérial. A Gand, les mœurs de la première émigration avaient reparu dans toute leur naïveté. M. Beugnot, qui habitait dans la même maison que M. Louis, fit réunir les deux ménages en un seul. Un domestique commun faisait les lits des deux ministres, frottait leurs appartemens, battait leurs habits, nettoyait leurs bottes. Le dimanche, la messe solennelle du roi avait lieu à midi. Le monarque très chrétien et son frère donnaient l’exemple du recueillement Les Gantois, attachés à la religion catholique, en étaient fort touchés, et disaient hautement que rien n’eût été si heureux pour la Belgique que sa réunion