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italien. Voilà un légiste angevin qui, jusqu’à sa dernière heure, poursuit M. Beugnot de la lecture d’un dialogue entre Henri IV et la nation. Nous voyons dans le même cachot plus d’une victime célèbre : l’évêque Lamourette, le général Houchard, Bailly, Mme Roland. N’oublions pas la pauvre Églé, cette fille des rues, qui est là comme le bon larron de la passion. Un grand seigneur se lamente. « Fi donc ! s’écrie-t-elle, vous pleurez ! Sachez, monsieur le duc, que ceux qui n’ont pas de nom en acquièrent un ici, et que ceux qui en ont un doivent savoir le porter. » Chaumette avait proposé de la conduire au supplice dans le même tombereau que Marie-Antoinette. « Ma chère Églé, lui disait M. Beugnot, si on t’eût menée à l’échafaud avec ta reine, il n’y eût pas eu de différence entre elle et toi, et tu aurais paru son égale. — Oui, lui répondit-elle, mais j’aurais bien attrapé mes coquins. — Et comment cela ? — Au beau milieu de la route, je me serais jetée à ses pieds, et ni le bourreau, ni le diable ne m’en auraient fait relever. » D’anciens amis d’Églé siégeant au tribunal voulurent pour la sauver mettre sur le compte de l’ivresse les propos royalistes dont on l’accusait. Elle s’indigna d’un tel subterfuge et se fit condamner à mort. Ses derniers momens furent d’une martyre, et on la vit, à l’heure du départ, sauter sur la charrette avec la légèreté de l’oiseau.

Moins héroïque, mais beaucoup plus prudent que la pauvre Églé, M. Beugnot eut le talent de se faire transférer à la Force, où l’on avait quelque chance d’être oublié. Après le 9 thermidor, il vécut dans la retraite jusqu’au 18 brumaire. Nommé alors préfet de Rouen, puis conseiller d’état, il révéla dans ces emplois sa vocation de fonctionnaire. On l’envoya tour à tour à Cassel comme ministre des finances du royaume de Westphalie, et à Dusseldorf pour organiser le grand-duché de Berg.

« J’étais en Allemagne, nous dit-il, ce qu’avaient été autrefois les proconsuls de Rome. Même respect, même obéissance de la part des peuples, même obséquiosité de la part des nobles, même désir de me plaire et de capter ma faveur. » Pour comble de bonheur, il fut nommé comte de l’empire. « Mon zélé, s’écrie le nouveau comte, ne pouvait s’accroître ; je ne sais même pas si quelque chose pouvait ajouter à mon dévouement et à mon admiration… Du soir au matin, je travaillais avec une ardeur singulière ; j’en étonnais les naturels du pays, qui ne savaient pas que l’empereur exerçait sur ses serviteurs, si éloignés qu’ils fussent de lui, le miracle de la présence réelle. Je croyais le voir lorsque je travaillais enfermé dans mon cabinet, et cette préoccupation assidue, qui m’a quelquefois inspiré des idées au-dessus de ma sphère, m’a plus souvent préservé des fautes qui naissent de la négligence et de la légèreté. »

Le récit du voyage, que l’empereur fit en 1811 à Dusseldorf avec l’impératrice Marie-Louise donne une idée exacte de la fascination que le maître exerçait alors sur son serviteur. Napoléon présida le conseil des ministres du grand-duché, et entrant, suivant son habitude, dans les plus