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détour et de reprendre l’histoire de leurs ancêtres, car eux aussi ont leur généalogie.

Le valet, dans l’antiquité, s’appelle esclave. Celui qui l’achète a sur lui droit de vie et de mort en vertu du terrible droit de la guerre. Avili par la servitude, il en porte au dedans comme au dehors les marques dégradantes. Voleur, ivrogne, menteur, humble et insolent, il a tous les vices qui peuvent se loger dans une âme d’où le sentiment de la liberté est sorti. Non-seulement il subit son malheur, mais il l’accepte avec une résignation enjouée qui est le dernier signé de la dégradation. il rit de son sort et joue avec ses fers. il parle du carcan, des boulets aux pieds, des lanières, des fers rouges, du gibet même, comme de choses qui lui sont familières et indifférentes. Grenier à coups de fouet ! chair à corbeaux ! gibier de potence ! telles sont les aimables plaisanteries qu’il échange avec ses compagnons de chaîne. C’est ainsi que les malandrins du moyen âge narguaient leur compère le bourreau et leur commère la potence.

Ennemi-né du maître, il est l’allié naturel du fils de la maison, l’aide à tromper le vieillard et le sert dans ses amours, non par affection, mais par malice et par esprit de vengeance. Dans Plaute, un fripon d’esclave, nommé Léonidas, a volé de l’argent au bonhomme de père. Argyrippe, le fils, en a un besoin pressant ; sa maîtresse va être vendue, et il faut la racheter ou la perdre, pour jamais. Léonidas, qui vient d’escroquer la somme, arrive au moment où les deux amoureux, près d’être séparés, confondent leurs larmes dans une dernière et douloureuse étreinte.

Il fait tinter joyeusement la bourse aux oreilles du jeune homme :

— Attention, mes amours, écoutez bien et buvez ce que je vais dire. Il y a soixante écus là dedans. Oui, dans cette bourse il y a soixante écus, et ils sont à vous, si vous voulez.

— Ah ! que le ciel te protège, ange tutélaire, étoile du peuple, canal des richesses, salut des âmes, providence de l’amour ! Donne cette bourse, donne, attache-la ici, au cou de ton maître. — Et il tend la main pour la recevoir.

Mais l’esclave : — Et vous, la belle, on ne me dira rien, on ne me fera pas quelque petite cajolerie, on ne m’appellera pas sa vie, son âme, sa rose, son bijou, son tourtereau ! Allons, vite, qu’on me prenne par les oreilles et qu’on embrasse son petit Léonidas ! — Et la pauvre fille d’obéir, quoique bien à contre-cœur, et l’amoureux de tendre encore la main :

— A genoux d’abord, mon maître, et mettez-vous à quatre pattes, comme vous faisiez quand vous étiez petit. Il faut qu’aujourd’hui vous me serviez de monture, il le faut, ou sans cela pas d’argent !

Argyrippe se résigne, il présente le dos et l’esclave le talonne : — Au trot, mon maître, au trot ! Ah ! le mauvais cheval !… Bien maintenant, bonne allure : la bête est dressée. Voilà comme on met à la raison ces orgueilleux !