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lui fournir, et en compose un caractère qu’il appelle Onuphre ; mais cet Onuphre n’est pas un homme, c’est un vice. Dans cent ans, un écrivain habile pourrait, en fermant les yeux au spectacle du monde, et en s’aidant seulement de la mémoire et de la méditation, dessiner un portrait semblable. Ce n’est pas ainsi que travaille l’auteur dramatique ; il ne représente pas seulement les hommes tels qu’ils doivent être, mais tels qu’il les voit ; il ne peint pas seulement d’après la nature, mais d’après la société. Il songe moins à se faire admirer des âges futurs qu’à plaire à ses contemporains, et il sait que le seul moyen de leur plaire est de leur présenter des types qui leur ressemblent. C’est ce qui fait que, de tous les monumens du passé où se reflète le caractère d’un siècle, le théâtre est le plus fidèle et le plus parlant.

Vous est-il arrivé de parcourir une galerie de tableaux de famille ? Toutes ces figures qui vous regardent, depuis le baron raide et sévère dans son armure d’acier jusqu’au marquis souriant et poudré, ont un trait de ressemblance, le grand trait de la race ; mais ce caractère va se modifiant d’âge en âge, au point qu’il faut un examen attentif pour démêler, sous la variété des expressions, des attitudes et des costumes, la communauté d’origine. Entrons dans l’étude du théâtre comme dans une galerie d’ancêtres, nous serons frappés des mêmes analogies et des mêmes différences. A certains traits généraux, nous reconnaîtrons nos contemporains et nous dirons : Voilà bien l’homme, il n’a pas changé ; la même sève coule dans les veines de l’arbre. Cependant aux nuances de détail nous éprouverons la surprise d’un voyageur au long cours qui voit enfin de nouveaux visages.

Ainsi qu’un misérable reçu par charité chez de braves gens tente de séduire la femme et d’épouser la fille de son bienfaiteur, c’est une noirceur dont tous les hypocrites sont capables ; mais que le même misérable trouve de bons bourgeois assez crédules pour être dupes de ses grimaces et de ses contorsions pieuses, qu’il ait lui-même le front de parler de sa haire et de sa discipline, et que cette grossière comédie lui réussisse, c’est le signe particulier d’une époque. Évidemment l’imposture a changé de masque depuis que les dupes ont changé de caractère. Nous avons de faux dévots, nous n’avons plus de Tartufe. — Qu’une femme mariée à un homme qu’elle n’aime pas sacrifié à son devoir l’amour qu’elle a pour un autre, nous trouverons dans notre siècle si calomnié bien des héroïnes semblables : nous n’en trouverons pas une qui ose avouer sa faiblesse à sa confidente, à son amant, à son père et à son époux. Voilà pourtant ce que fait Pauline dans Polyeucte, et cette Pauline que Corneille nous donne avec raison pour un modèle de vertu passerait aujourd’hui pour un modèle d’effronterie. — Qu’un homme enfin soit assez confiant dans la sagesse de sa femme pour apprendre de sang-froid qu’elle à un amant et qu’elle vient de lui accorder une entrevue, c’est un effort dont peu de maris de nos jours seraient capables. C’est pourtant ce que fait Polyeucte, l’époux de Pauline, et cette