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lui écrivait de Venise sur un morceau de papier au crayon : « Nous avons vaincu et nous sommes libres. Que faites-vous de votre côté ? Que faut-il pour vous délivrer ? » Il ne fallait rien. Vicence n’avait qu’à attendre un peu pour être libre sans combat comme Padoue, comme Trévise, comme toutes les villes de la Vénétie, sauf Vérone, restée le dernier refuge de l’armée autrichienne. Pasini suivait de près et dirigeait ce mouvement, qui montait d’heure en heure, et rien n’est assurément plus caractéristique que son dernier entretien avec le général d’Aspre, le fougueux d’Aspre, qui traînant sa goutte : de Padoue à Vicence, irrité, voulait contraindre les magistrats de la ville à lui livrer l’argent des caisses publiques en dehors de toute formalité légale. Pasini avait pris ses précautions, il avait fait cacher les caissiers et les clés, et il se retranchait derrière la nécessité d’obéir à la loi, qui exigeait un ordre de l’intendance supérieure de Venise. Or Venise était libre depuis trois jours. « Les militaires ne discutent pas, s’écria d’Aspre, ils agissent ; ils ouvrent la caisse par la force. — Par la force ! répondit tranquillement Pasini, nous n’avons rien à opposer ; mais votre excellence voudra-t-elle que son dernier acte dans cette ville soit l’effraction d’une caisse et un rapt d’argent ?… Elle tient certainement à son honneur plus qu’à notre argent. » D’Aspre secoua la tête, car, si c’était un rude soldat, c’était aussi un gentilhomme plein d’honneur. « Comment, reprit-il, me croire capable d’un acte peu honorable ! Il faut bien cependant en finir, mes soldats ne peuvent mourir de faim. — Ceci, répliqua Pasini, est une autre affaire ; la municipalité ne refuse pas de pourvoir aux besoins des troupes de passage. » On s’entendit vite sur les conditions d’évacuation de la ville ; puis d’Aspre, trouvant à qui parler, se mit à s’emporter contre M. de Metternich, à qui il attribuait tous les malheurs de l’empire, et ce soldat sans peur, au spectacle des extrémités où tombait l’Autriche, laissait échapper une grosse larme. Quelques heures après, Vicence était libre et avait son comité provisoire de gouvernement, dont Pasini était un des membres principaux.

Tout se hâtait à cette époque, tout se mêlait et se succédait avec une furieuse rapidité, les événemens et les résolutions, les revers et les succès. Au fond, Valentino Pasini pensait qu’on perdait un peu la tête, que Manin avait eu tort de proclamer immédiatement la république pour la Vénétie, que les Lombards avaient tort de se donner immédiatement et définitivement au Piémont, que la première chose à faire devait être de consacrer tous les efforts à la guerre de l’indépendance, et qu’à la paix toutes les questions d’organisation seraient réglées en toute liberté, avec une pleine maturité. Ce politique essentiellement modéré, au sens pratique si fin,