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enveloppée qui, par l’effort même qu’elle impose pour la comprendre, laissé supposer qu’elle en dit beaucoup plus qu’elle n’en a l’air, — une vaste perception embrassant l’ensemble des rapports des choses, une grande et vigoureuse unité de logique, liant toutes les déductions dans une chaîne serrée… » L’ascendant de Romagnosi était en effet considérable en Italie à cette époque. Sa philosophie était incomplète, son esprit était supérieur. Il a toujours a été peu connu en France, et il s’en affligeait avec candeur ; il accusait amèrement Rossi, qui, émigré à Genève, puis à Paris, le dépouillait, disait-il, ou le combattait tour à tour sans le nommer ; « autant mon livre de la Genèse du droit pénal est connu en Allemagne, écrivait-il, autant il est inconnu du public français. Rossi avait là beau jeu pour son génie plagiaire. » Dans cette guerre bizarre. où Romagnosi se plaignait, où Rossi se renfermait dans un silence dédaigneux, les jeunes Italiens étaient du côté de leur maître. Valentino Pasini particulièrement s’inspirait des idées de Romagnosi ; il s’était lié avec le vieux philosophe. Il entrait même en lice contre Rossi, dont il reconnaissait la Supériorité d’esprit, mais dont il n’admettait les théories ni en économie politique ni en droit pénal, et à l’égard duquel il est resté toujours un peu sévère.

C’est donc à cette double école des traditions civiles du royaume d’Italie et de la philosophie de Romagnosi que Valentino Pasini s’était formé. Je peux bien ajouter une troisième école très pratique et qui n’a pas été moins fécondé pour les Italiens, celle d’une vie précaire, disputée, étouffée, excitante encore pourtant, sous un gouvernement étranger réduit à s’affirmer sans cesse par la force, de peur de périr en étant simplement libéral et juste. Cette époque, où le jeune Vicentin commençait à se mêler au mouvement de son pays, n’avait en effet rien de favorable, elle était même particulièrement difficile. La révolution française de 1830 enflammait un instant tous les esprits ; on ne pouvait croire qu’un tel événement fût sans retentissement au-delà des Alpes, et jusque dans les provinces lombardo-vénitiennes l’attente était universelle. La déception qui venait bientôt produisait un immense découragement. On ne sut plus pour le moment de quel côté se tourner. L’imprévu, un imprévu quelconque, venant on ne sait d’où, semblait devenir la dernière et bien incertaine ressource. C’est dans ces situations surtout que se montrent ces deux classes d’hommes dont je parlais. Les uns se raidissent contre la fortune et conspirent quand même, au risque de livrer sans cesse de nouvelles victimes ; les autres ne se découragent pas de la vie de tous les jours et agissent encore, même quand ils ne peuvent plus se mouvoir que dans les limites étroites où les enferment des pouvoirs ombrageux. Valentino Pasini était de