Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chacun dans sa foi attendait le salut de son église. Catholiques avec la high-church, les law-lords marqueraient-ils d’un stigmate les Essays ? Seraient-ils au contraire les champions du protestantisme et du libre examen ? « O église d’Angleterre ! s’écriait l’avocat des prévenus, toi la plus savante des églises, entends la voix de la science ; toi la plus libre, écoute le cri de la liberté ! » L’affaire dura près d’une année et ne se termina qu’en juillet 1863. Le jour où l’arrêt fut prononcé n’est pas de ceux qui s’oublient. Dans l’enceinte devenue trop étroite du conseil privé se pressait une foule inquiète de clergymen de toutes communions. Leur anxiété était extrême : on disait en effet que sur cinq charges deux avaient été écartées et les trente-deux griefs réduits à trois ; mais il y avait encore matière à une sévère et solennelle condamnation. Au milieu d’un silence profond, le lord chancelier prononça d’une voix lente, « mais dont le calme, dit un journal, cachait mal l’ironie, » l’arrêt du conseil privé. Cet arrêt longuement motivé écartait les trois dernières charges, et, invoquant le droit de libre examen, admettait la théorie des essayistes sur la justification et l’éternité des peines. « Le suprême pardon des méchans condamnés, ajoutait-il, peut concorder avec la volonté d’un Dieu tout-puissant. » Une salve d’applaudissemens partit des bancs où siégeaient les non-conformistes, tandis que les clergymen de la haute-église sentirent la douleur et la colère envahir leur âme. Il y a dix ans, s’écrièrent-ils, l’état s’est montré hérétique ; il fait pis aujourd’hui : l’antique couronne d’Angleterre devient rationaliste.

A peine le fait eut-il été rendu public, que M. Pusey lançait au nom des anglo-catholiques une protestation contre cet arrêt « misérable et mortel à l’âme. » En même temps un meeting de tous les professeurs d’Oxford se réunissait dans le Music-Hall pour rédiger une protestation contre la décision des law-lords ; quelques jours après, la docte assemblée frappant de censure un des essayistes, le professeur Jowet, le réduisait au traitement légal fixé, par Henri VIII, et l’engageait à se démettre de ses fonctions. La déclaration oxonienne fut envoyée aux évêques et prêtres de l’établissement. Plus de la moitié du clergé donna son adhésion à ce blâme infligé à la cour suprême.

Presque aussitôt la convocation de Cantorbéry se réunit, et, par une énergique, mais illégale résolution, osa citer devant elle les auteurs des Essais et Revues. Deux évêques seulement protestèrent contre cet acte, attentatoire, disaient-ils, aux droits de la couronne ; tous les autres affirmèrent qu’il y avait lieu de poursuivre l’hérésie en dépit du bill d’indemnité délivré par une cour séculière. Cités devant les deux chambres de la convocation, les auteurs des Essais