Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force, — il ne se tînt pour assuré d’avoir raison. Tout ce qui venait de se passer et le spectacle qu’offrait alors la France n’expliquaient que trop les accès de cet orgueil si parfaitement insolent, mais jusque-là si complètement justifié par le succès. L’armée formidable du nouvel empire était plus que jamais sous la main de son glorieux chef ; la nuée innombrable des fonctionnaires de l’ordre civil lui obéissait comme un seul homme ; le clergé entier était à ses pieds. Aux âmes un peu fières qui avaient refusé de s’abaisser sous le commun joug, il avait imposé le silence et la retraite. Mme de Staël se débattait sous les douleurs de l’exil ; Carnot et le général Lafayette s’étaient réfugiés dans une volontaire obscurité. Des biais ingénieux ou, quand il l’avait fallu, l’énergique manifestation de son inébranlable volonté, lui avaient suffi pour surmonter les scrupules de la magistrature française. Pourquoi cette autre grande autorité morale dont le siège était à Rome se montrerait-elle de plus laborieuse composition ? La douceur connue du caractère de Pie VII promettait d’ailleurs une prompte et facile victoire.

Ce fut donc avec la plus entière confiance qu’irrité, méprisant, tout plein du sentiment de son écrasante supériorité. Napoléon entama la lutte contre un adversaire en apparence si désarmé. Dans cette dangereuse collision, définitivement engagée, l’empereur devait marcher de méprise en méprise. Celle par laquelle il avait débuté dès lors au sujet du mariage de son frère consistait à s’être entièrement trompé sur le degré de résistance, modérée, patiente, mais invincible, que sur une question purement religieuse la conscience du souverain pontife se croirait tenue d’opposer à des exigences contraires aux règles invariables de l’église. La seconde erreur ne devait pas être moins grave : elle provint de même de la complète méconnaissance du caractère de Pie VII et de l’idée que le pape s’était faite des devoirs également sacrés qui incombaient à sa qualité de souverain temporel. L’affaire du prince Jérôme avait pu demeurer à peu près secrète. Napoléon s’était aisément tiré des ennuis qu’elle lui avait causés en cassant cette union par un simple décret impérial et en mariant peu de temps après son jeune frère, non pas, comme avaient semblé l’annoncer les récens et impétueux éclats de son prosélytisme religieux, à quelque princesse catholique, mais au contraire à l’héritière de l’électeur luthérien du Wurtemberg. Bien différentes allaient être les conséquences des mesures agressives, qu’une politique mal entendue et sa passion de plus en plus allumée lui firent bientôt adopter contre le saint-siège. Le retentissement en devait être immense. En s’emparant au début de la ville d’Ancône, en confisquant successivement le surplus des états pontificaux, en mettant la main sur la personne du pape lui-même, en le retenant captif à Savone, l’empereur put d’abord