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supplications de son ex-complice, lui demanda tranquillement les moyens d’en finir avec une vie qui lui était désormais à charge. Parenti, cette-fois très effrayé, résistait de son mieux, mais la descendante des Orsini, habituée à faire plier cette volonté rebelle : — Je n’ai qu’un mot à vous faire entendre, lui dit-elle enfin ; si demain matin, quand ma femme de chambre entrera chez moi, je suis encore vivante, je ne me lèverai que pour aller chez le delegato et lui donner le secret détail de ce qui s’est passé entre nous.

Le lendemain, Parenti put quitter Sienne sans être dénoncé au delegato. La jeune marquise Orsini avait été trouvée morte dans son lit. Gemma ne tarda pas à se rétablir et devint la femme de Gino.

Ceux de nos lecteurs chez qui cette rapide analyse n’éveillerait aucune curiosité bien vive doivent être avertis qu’en dehors du roman lui-même, mais lui prêtant leur grâce et leurs enseignemens, se trouvent des paysages très exacts, — la Maremme par exemple, Sienne et ses abords, la bourgade habitée par la prétendue sorcière Fiordispina Ralli, — des tableaux de mœurs fort animés, comme le Palio, le festival annuel des Siennois, puis çà et là des échantillons curieux de l’humeur italienne. En voici un qui nous est donné comme authentique, et que sans cette assurance nous aurions tenu pour tel. Le vieux Venturi, érudit, quoique libraire, numismate forcené, patriote farouche, préside un dîner intime où Gino Donati, le docteur Parenti et l’aimable Gemma ont seuls pris place. Le vin santo[1] circule, les propos familiers vont et viennent paisiblement ; on parle de la festa prochaine et des bruits qui ont couru sur les dispositions hostiles des autorités de Florence : n’ont-elles pas songé, sous prétexte de quelques légers désordres, à interdire cette solennité nationale ?


«… — Je n’en serais pas étonné, dit avec amertume le vieux libraire. Florence a toujours été pour nous ou rivale jalouse ou dominatrice oppressive. Elle ne demandera jamais qu’à éteindre tout ce qui entretient ici l’esprit public. Toujours de même, toujours de même ! ajouta-t-il à plusieurs reprises.

— Le grand-duc y regarderait à deux fois, répondit le docteur, avant de faire outrage à une ville aussi loyale que la nôtre.

— Le grand-duc n’est point libre de décider à cet égard quoi que ce soit, interrompit Gino. Nos maîtres sont esclaves comme nous. Que veut l’Autriche ? Voilà toute la question. Si l’ambassadeur de Vienne imagine que les souvenirs du passé portent dommage à l’état présent des choses, ou peuvent nous remettre en tête les chances de l’avenir, la paternelle bienveillance du gouvernement impérial nous interdira ces dangereux passe-temps !

  1. C’est le nom donné au vin doux de Toscane.