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tout au plus. Stendhal l’aurait racontée en quarante pages qui nous eussent donné la fièvre. Délayée en trois volumes, elle ne produit plus tout à fait la même impression. En voici le fond et la substance.

Dans le couvent de Santa-Teresa étaient élevées ensemble deux jeunes personnes du même âge, mais de condition différente. Dianora Orsini appartenait à une grande famille, Gemma Venturi était la fille d’un riche et savant libraire. A la première avait été fiancé dès l’enfance Gino Donati, lui aussi de haute race. Ni l’un ni l’autre ne possédaient de fortune ; mais un avenir brillant leur était promis, attendu que Gino, lorsqu’il aurait acquitté les dettes contractées par un père prodigue, devait se trouver en possession d’un assez beau domaine, et que les biens immenses de l’oncle de Dianora le riche et parcimonieux marquis Ferdinando Bandinetti, ne pouvaient manquer d’échoir à sa nièce. L’amour toutefois, qui se plaît à brouiller les cartes les mieux arrangées, fit en sorte que Gino, dînant un jour chez le libraire Venturi (son créancier par parenthèse) et se trouvant placé à côté de la blonde Gemma, sentit naître dans son cœur une de ces flammes subites que les Italiens et surtout les Italiennes admettent si bien comme l’excuse des plus grandes folies. En pareil cas, les scrupules ne sont guère plus de mise que les remords. Dianora fut oubliée net, et Gemma prit sa place dans les ardentes préoccupations du volage fiancé. A peine ménagea-t-il les apparences, et, la festa de Sienne ayant eu lieu quelques jours après, on le vit au champ de courses, assidu près de Gemmai prendre publiquement parti pour le jockey de la contracta dont elle souhaitait le triomphe[1]. Dianora, qui déjà se savait supplantée, regarda ceci comme un outrage prémédité ; un âpre désir de vengeance la tourmenta désormais. Peut-être en eût-elle triomphé sans les incitations perfides du médecin du marquis, le docteur Parenti, un des professeurs de l’université. Hôte et commensal de Venturi, mieux à même que personne de suivre le cours des incidens qui intéressaient les deux familles, cet homme, jeune encore, ambitieux de plus et par surcroît fort épris de la fière Dianora, ne ménageait rien pour rendre irréparable la rupture du mariage projeté : il crut un moment avoir réussi à s’assurer la main de la belle Orsini. Ne venait-elle pas de lui confier ses amers ressentimens, et de réclamer sa complicité dans une œuvre ténébreuse qui semblait devoir les lier irrévocablement l’un à l’autre ?

Dianora était allée mystérieusement chez une vieille paysanne de la Maremme connue pour s’adonner à la nécromancie et à d’autres pratiques non moins occultes. Cette femme, d’une famille jadis vassale des Orsini, et gardant aux représentans de cette grande race un respect, un dévouement traditionnels, avait mis au service de cette enfant dévorée de jalousie un

  1. Chaque contrada ou district de territoire siennois se fait représenter aux courses par un cheval et un jockey payés à frais communs.