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mettrait pas à de si rudes épreuves l’amour patient et confiant qu’il lui garde. Au fait, elle n’aime réellement que lui, et malgré les apparences demeure fidèle aux promesses qu’ils ont échangées ; mais que Maurice Byrne, le littérateur en vogue, vienne à l’honorer de quelque attention, ou que le capitaine Clarence Lyster daigne lui apporter, par manière de passe-temps, l’hommage languissant de ses prévenances aristocratiques, une sorte de démon intérieur se réveille en elle, et la rend incapable de repousser, de décourager ces méprisables et fragiles adorations. Livrée à elle-même, peut-être en aurait-elle la force ; mais sur ce théâtre où l’a portée un concours fortuit de circonstances favorables, dans ce salon où elle n’a été admise que par faveur, la tentation devient irrésistible. Qu’à un moment donné, dans ce coin du monde, la couronne lui soit décernée, elle ne voudra pas déchoir. Avec toute rivale, la lutte est engagée d’avarice, et comme il faut régner à tout prix, à tout prix naturellement il faut vaincre, ce qui peut mener loin. Rassurez-vous pourtant : nous sommes en Angleterre, où les plus vives escarmouches de la flirtation la plus aventureuse ne conduisent jamais qu’au bord de l’abîme, et où Maurice Byrne, un athée pourtant, ayant compromis, — par mégarde, il est vrai, — la pauvre miss Lethbridge, et passé toute une nuit en tête-à-tête avec elle dans un wagon de première classe, lui propose fort paisiblement de l’épouser, Notez bien que ce mécréant a pour unique mobile, dans cette offre chevaleresque, le désir de réparer le tort qu’il a pu porter involontairement, à la réputation de notre étourdie.

Ce personnage nous remet en mémoire la situation que nous annoncions à nos lecteurs. Elle ferait à elle seule un sujet de roman, et ce roman pourrait être de beaucoup supérieur à celui dont on l’aurait tiré. Voici la donnée générale. Une charmante cousine de Roydon Fleming, mariée à un être assez vulgaire, est devenue veuve après un très court hymen. C’est alors qu’elle a rencontré pour la première fois Maurice Byrne, dont la réputation brillante l’a fascinée. Cet homme sans préjugés, fort de son indifférence glaciale, n’a pas absolument dédaigné une conquête aussi flatteuse que celle de mistress Darrock ; il n’a pas non plus, dans un certain sens, abusé de ses avantages ; mais en vrai sultan intellectuel il s’est complu à faire sur ce cœur qu’on lui offrait une espèce d’expérimentation psychologique. Dans ces sortes d’études où la passion, mise en jeu par une main savante, sert en quelque sorte de scalpel, le sujet disséqué doit beaucoup souffrir, et mistress Darrock, échappée comme par miracle au terrible praticien, a fait d’héroïques efforts pour ne pas rester sous le coup des tortures qu’elle a subies. Quatre ans ont passé là-dessus. Maurice Byrne a beaucoup voyagé, beaucoup écrit. Malgré, tout, le souvenir de sa victime lut est resté. Il s’arrange, à peine revenu en Angleterre, pour lui faire savoir son retour, et en lui envoyant un journal où est annoncé son séjour chez certains parens de mistress Darrock, il lui porte pour ainsi dire le défi