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d’incorrect, ce que la couleur a de violences criardes. Tandis que le sentiment poétique (ailleurs que dans le paysage) se manifeste par des bizarreries presque monstrueuses, se résout en maladresses énormes, en avortemens quelquefois burlesques, l’observation de la réalité se montre alerte et fine. On ne confierait pas sans trembler à M. Millais par exemple ou à tout autre pré-raphaélite l’Excelsior du poète Longfellow ; mais s’il s’agit de l’oncle Toby cherchant naïvement un moucheron imaginaire dans l’œil rusé de la veuve Wadman, oh ! alors tenez pour certain que Sterne ne trouverait pas aisément chez nous un interprète digne de lui, un pinceau rival de sa plume taillée au microscope. En revanche il en aurait à choisir parmi ses compatriotes.

Au sortir de la grande exhibition, ouvrez tour à tour une demi-douzaine des romans qui viennent de paraître à Londres, vous serez frappé de l’analogie qui existe chez nos voisins entre l’art de peindre et l’art d’écrire. Ce dernier cependant, asservi à certaines règles du programme mercantile nous semble moins libre dans ses allures. Une inflexible loi pèse sur le romancier. Ce n’est point celle des trois unités, c’est celle des trois volumes. Expérience faite, il paraît que l’éditeur, s’il n’a point à mettre au jour ce nombre consacré d’élégans in-octavo, et à réclamer en échange les trente-un shillings six pence qui en constituent le prix normal, ne saurait comment aligner ses comptes. Or c’est là le point essentiel auquel sont subordonnés les droits de l’imagination et ceux de la composition littéraire. On ne saurait expliquer par une raison plus décisive ces longueurs terrifiantes, ces encombremens épisodiques qui font le désespoir des lecteurs à la fois impatiens et délicats, ces dialogues interminables où chaque couplet doublant le récit est lui-même doublé d’un commentaire inutile le plus souvent ; la vie, la substance, la moelle du roman, s’il est permis de parler comme Rabelais, demeurent étouffées sous ces développemens parasites.

Cette « moelle, » dira-t-on peut-être, n’est pas toujours à regretter, et de fait le prétexte à tant de portraits, à tant de mise en scène, à tant et de si longues causeries, est souvent d’une banalité, d’une insignifiance qui passe toute permission ; mais il arrive aussi parfois qu’une idée vraiment. dramatique et féconde se perd comme noyée dans cette surabondance de minutieux et compendieux accessoires. C’est seulement alors qu’une critique sagement inspirée peut s’occuper de ces œuvres pour la plupart éphémères. Il lui appartient de distinguer entre ce qui est inspiration originale ou amplification de parti-pris, et, pour assortir un bouquet présentable, de trier quelques fleurs douées d’un éclat ou d’un parfum spécial dans la brassée de plantes que l’on étale pêle-mêle à ses pieds.

Un caractère, une situation/voilà tout ce que nous offre, — cette méthode étant donnée, — le premier roman inscrit sur notre liste. Kate (où Catherine) Lethbridge nous semble un excellent type de coquette, assez profondément étudié pour n’être pas exclusivement anglais, bien qu’il ne pût s’accuser avec cette netteté dans un milieu différent de celui où on nous le