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malgré les avertissemens du consul de France, négligé de se pourvoir du consentement de sa mère. Cette omission n’avait pas arrêté l’évêque de Baltimore. Conformément aux usages d’un pays qui reconnaît encore aux prêtres des différens cultes le droit de marier leurs coreligionnaires, c’est lui qui avait solennellement consacré cette union. A la première nouvelle du mariage de son frère, Napoléon avait d’abord affecté de considérer toute l’affaire comme une folle équipée de jeunesse. Plus tard, lorsque Jérôme, ayant pris passage sur un bâtiment américain, annonça l’intention d’amener sa jeune femme sur le continent afin de faire reconnaître tous ses droits, le nouvel empereur se montra tout à fait irrité. Il ordonna au ministre de la marine, M. Decrès, de ne laisser Mlle Patterson prendre pratique nulle part en France[1]. Si elle parvenait à débarquer, ordre était donné au ministre de la police de l’envoyer à Amsterdam, « où elle devra être mise à bord du premier bâtiment américain partant pour les États-Unis[2]. » Au lieu de venir directement eh France, Jérôme s’était rendu à Lisbonne. Il y avait trouvé des instructions émanées de son frère, instructions auxquelles il n’était sans doute pas prudent de désobéir, car, après avoir conseillé à sa femme d’aller l’attendre en Hollande, il prit à travers l’Espagne le chemin de Milan, où, comme nous l’avons dit, se trouvait alors l’empereur. Aucune mesure n’avait été négligée pour que Jérôme ne pût s’écarter de l’itinéraire qui lui avait été tracé. S’il se risquait à passer soit par Bordeaux, soit par Paris, Fouché était invité à l’arrêter et devait le faire diriger sur Milan par un officier de gendarmerie[3]. Cette dernière précaution ne fut point nécessaire ; Jérôme était rendu auprès de son frère dans les premiers jours de mai. A s’en rapporter aux lettres qu’il écrivait alors à sa jeune femme, Jérôme arrivait avec le désir et l’espoir de fléchir Napoléon. En cela, il avait trop présumé de lui-même. Peu de jours en effet après leur entrevue, Napoléon pouvait écrire à sa sœur, la princesse Élisa, qu’il était très satisfait des sentimens de son frère Jérôme. Le propre secrétaire du prince allait de sa part se rendre auprès de Mlle Patterson « pour lui faire connaître l’état des choses, et lui faire sentir que son mariage, nul aux yeux de la religion comme aux yeux de la loi, devait l’être dorénavant à ses propres yeux[4]. » La cassation de ce mariage n’était pourtant pas chose aussi facile que l’empereur le donnait à entendre. Un jugement du tribunal civil était nécessaire

  1. Lettre de l’empereur Napoléon Ier à M. Decrès, 3 floréal an XII (23 avril 1805).
  2. Lettre de l’empereur au ministre de la police, 3 floréal an XII (23 avril 1805).
  3. Lettre de l’empereur au ministre de la police, 23 avril 1805.
  4. Lettre de l’empereur Napoléon Ier à la princesse Élisa, 16 floréal an XII (6 mars 1805).