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et sa puissance de fécondation furent une des révélations initiales d’où sortirent avec leur poésie singulière les croyances et les mythes des peuples aryens sur les régions infernales, sur le sommeil éternel de l’âme ou sa renaissance à une autre vie. Pour les Indiens, les Perses et les Grecs, le courant des vies humaines est emporté vers les espaces souterrains comme celui des fleuves, et le gouffre noir où ceux-ci tombent et s’engloutissent est la patrie des morts. Le Gange, chez les Indiens, était le fleuve sacré, tour à tour céleste et infernal. La cosmogonie de l’Avesta, dans la source Ardouissoura, qui découle du trône d’Ormuzd, nous offre, malgré une différence importante, le type originel du Styx hellénique. Ardouissoura descend d’abord en cent mille canaux d’or des sommets divins de l’Albordji, la montagne première, qui a mis huit cents années à s’élever et à grandir au-dessus du ciel solaire jusqu’au foyer de la lumière incréée[1]. De l’Albordji sont sorties les autres montagnes : la plus élevée est le Houguer, du haut duquel Ardouissoura tombe à la profondeur de mille hommes ; de là elle se répand jusqu’au golfe Persique et à l’Océan indien. Zoroastre la nomme le Palais des ruisseaux ; elle est la mère de toutes les fontaines et de tous les fleuves ; chacun de ses canaux se replie en circuits si nombreux, qu’un homme à cheval ne pourrait les parcourir qu’en quarante jours. C’est d’elle que viennent toutes les eaux célestes et souterraines, les nuages et les sucs des plantes. Elle a un corps de vierge et de déesse, un visage brillant, des cheveux d’or ; son trône s’élève sur cent colonnes étincelantes. Enfin c’est vers elle que se tournent les morts ; ils l’invoquent et revivent, car elle est un principe de vie et un breuvage de résurrection.

Ici toute analogie cesse avec le Styx des Grecs. L’enfer de ceux-ci gardait éternellement ses hôtes. L’idée de la renaissance des âmes, qui est tout orientale, ne fut rendue pour la première fois à l’Occident hellénique qu’au temps de Pythagore, et sous la forme de la doctrine des métempsycoses. La résurrection des morts, la défaite définitive de l’enfer et des démons, le bonheur immortel des justes et des pécheurs purifiés, Ahriman, le principe du mal, vaincu et détruit, toutes ces croyances appartiennent en propre à la religion de Zoroastre. L’eau, élément sacré comme le feu, et que l’on prie à l’égal du soleil, est non-seulement pour la nature matérielle une cause de fécondité ; c’est encore elle qui donne à l’homme l’intelligence, qui écarte de lui les démons et le lave des souillures du péché, c’est une source inépuisable de vie pour le corps et les âmes. Les méchans, après leur mort, tombent, il est vrai,

  1. L’Albordji est au sud de la mer Caspienne dans la chaîne du Mazandéran. C’est l’Elbourz actuel.