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à la consommation, sans aucune pression de la part du gouvernement, et il pensait avec raison que, livré à lui-même, le prix se relèverait. C’est en effet ce qui arriva. Le prix du blé remonta graduellement pendant la seconde moitié du siècle, et en 1789 il était revenu à 16 ou 18 francs. Cette hausse coïncida, comme l’avait annoncé Quesnay, avec les progrès de l’agriculture, de l’aisance publique et de la population.

Il y a en effet deux sortes de bon marché, celui qui résulte d’un surcroît de production et celui qui a pour cause un déficit de consommation. Le premier est avantageux, le second regrettable. Le plus dangereux des deux extrêmes n’est pas l’excès de cherté, parce qu’il se détruit de lui-même en excitant à produire, tandis que l’excès de bon marché ne peut se guérir que par un surcroît de consommation, plus lent à obtenir qu’un surcroît de production. On peut avoir la preuve de cette vérité en comparant entre eux les pays qui nous entourent. Quels sont ceux où le blé est le plus cher ? L’Angleterre, la Belgique, la Hollande, une partie de l’Allemagne, c’est-à-dire les plus riches de l’Europe. Quels sont ceux où le blé est le meilleur marché ? La Russie, la Hongrie, l’Espagne, c’est-à-dire les plus pauvres, et, nouvel argument en faveur des idées de Quesnay, le mal des pays riches se corrige plus facilement que celui des pays pauvres, les uns continuent à se peupler et à s’enrichir plus vite que les autres. Ceci ne veut pas dire qu’il soit bon de faire monter artificiellement les prix, car disette et cherté est misère ; mais il ne faut pas non plus les faire baisser, car abondance et non-valeur n’est pas richesse ; la meilleure condition est celle des pays où, la production étant considérable, la consommation demande encore plus, car abondance et cherté est opulence.

On peut sans doute prévoir un quatrième cas plus heureux encore, celui d’une grande consommation coïncidant avec une production à bon marché. Quesnay parlait de ce qu’il avait sous les yeux, une population rare et pauvre, ayant à peine de quoi payer sa subsistance, et des céréales tombées à vil prix faute de débouchés ; il n’a pu songer à un état tout différent, où la population serait riche et pressée et où les subsistances coûteraient peu à produire, Cet idéal ne s’est encore présenté nulle part, pas même en Amérique, où des terres vierges et fertiles d’une étendue en quelque sorte indéfinie donnent des produits à bon compte tant que le débouché ne s’accroît pas, mais où le prix monte, comme partout, avec la population et le débouché. Quesnay lui-même l’a constaté : cette production surabondante qui causait de son temps les bas prix s’élevait en tout au quart de ce qu’elle est aujourd’hui ; le prix moyen a doublé dans l’intervalle, quoique la production ait qua-