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gouvernement civil, inspiré par la révolution anglaise de 1688 ; elle a eu et elle a encore quelque peine à s’introduire en France. Montesquieu l’a entrevue, mais sans s’y arrêter ; on la retrouve plus ou moins dans presque tous les écrivains du XVIIIe siècle, mais à l’état d’aspiration et de pressentiment. « Liberté et propriété, disait Voltaire à son retour d’Angleterre, c’est la devise des Anglais ; elle vaut bien Montjoye et Saint-Denis ! » De tous ces philosophes, Quesnay est le seul qui en ait fait le fond de sa doctrine et qui en ait tiré toutes les conséquences ; voilà sa gloire. C’est ce que ses disciples ont appelé la physiocratie ou le gouvernement des lois naturelles ; de là le nom de physiocrates qu’ils portent dans l’histoire des idées économiques.

« 5. — Que l’impôt ne soit pas destructif ou disproportionné à la masse du revenu de la nation, que son augmentation suive l’augmentation des revenus ; qu’il soit établi immédiatement sur le produit net des biens fonds et non sur le salaire des hommes ni sur les denrées, où il multiplierait les frais de perception, préjudicierait au commerce et détruirait annuellement une partie des richesses de la nation. »

La première partie de cette maxime exprime une vérité incontestable que tous les gouvernemens sans contrôle négligent beaucoup trop ; la seconde n’est rien moins que la théorie de l’impôt unique et direct, à l’exclusion des impôts indirects sur les consommations. Ce qui paraît étrange et inexplicable au premier abord, Quesnay, si partisan de l’agriculture, propose d’asseoir cet impôt unique sur le sol. Pour bien comprendre la série de ses idées, il faut remonter à l’origine. D’après lui, l’agriculture donne seule un produit net en sus des frais de production, ce qui est vrai dans le sens étroit qu’il donne au mot produit, mais ce qui est faux quand on lui donne un sens plus général et plus vrai. Sur cette base problématique, il élève tout son édifice. Pour que l’impôt soit légitime, il faut qu’il soit assis sur le revenu ; or il n’y a de revenu, c’est-à-dire de reproduction, que dans le sol : c’est donc sur le produit net du sol que doit peser l’impôt. Cette théorie fait peser tout le fardeau des charges publiques sur une seule catégorie de contribuables, les propriétaires fonciers ; mais elle a en même temps de sérieux avantages en ce qu’elle assigne à l’impôt une limite qu’il ne peut dépasser, et en ce qu’elle économise les frais de perception. Son principal défaut est dans son caractère absolu et systématique.

Quesnay évaluait au tiers du produit net des terres la somme nécessaire aux dépenses de l’état, les deux autres tiers restant à partager entre les propriétaires, les fermiers et les décimateurs ;