Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle faisait florès, Claire voyait son joli petit visage altéré de jour en jour par un commencement de grossesse. La pauvre enfant se trouvant, laide, en souffrait, et n’osait pourtant pas publier son excuse. Elle reprit quelque avantage au bout de cinq ou six mois, lorsque les portes des salons devinrent étroites pour elle, et Dieu sait avec quel orgueil elle promenait cet embonpoint chargé de promesses ! Rien de plus curieux que la rencontre des deux ennemies : elles se regardaient d’un air de défi, l’une étalant sa beauté virginale, l’autre faisant parade de son heureuse fécondité.

Claire eut un fils, et je vous laisse à penser si elle le fit voir. Toutes les connaissances de Strasbourg le trouvèrent magnifique ; mais quelque chose manquait au triomphe de la jeune mère, elle voulait qu’Adda fût forcée d’admirer cet enfant. Il y a de ces raffinements dans les haines de province. Pour en venir à ses fins, Mme Marchal enjoignit à la nourrice de promener le jeune Henri sur la petite place qui touche à la maison des Kolb. Il arriva nécessairement que la femme et la fille du chanoine, voyant une paysanne inconnue et un enfant équipé comme un prince, s’approchèrent du marmot, l’examinèrent, et demandèrent le nom de ses parents. La nourrice n’eut pas plus tôt nommé Marchal qu’Adda se mordit les lèvres et répondit : Vous ferez mes compliments à la famille ; il est très-drôle, ce petit : voyez donc ! Il a déjà les doigts crochus !

La nourrice rentra toute en larmes, et Claire, outragée jusque dans son enfant, s’écria : —« Mais personne n’écrasera donc cette vipère ?

— Ma chère amie, dit le docteur, je ne souhaite pas sa mort ; qu’elle se marie seulement, et tous nos maux seront finis.

À quelque temps de là, les journaux d’outre-Rhin annoncèrent que la petite ville de Hochstein, en Bavière, était décimée par une épidémie d’angine. Il ne restait ni médecin, ni sage-femme, ni barbier dans la commune ; tout ce qui a pour devoir d’approcher les malades avait péri. Deux docteurs de Munich, venus en poste, étaient repartis dans les quarante-huit heures, en corbillard. M. Marchal croyait tenir un spécifique certain contre l’angine ; ses premiers essais avaient réussi ; mais l’occasion d’expérimenter en grand ne s’était jamais offerte. Il partit pour Hochstein malgré les remontrances de ses amis et les larmes de sa femme. — Si j’étais officier, dit-il à Claire, me défendrais-tu d’aller me battre ? Eh bien ! ma chère, l’ennemi est campé à Hochstein, et j’y cours.

Il resta six semaines absent et revint gros et gras après avoir sauvé tout ce qui restait dans la ville. Un acte de courage si simplement accompli fit quelque bruit de par le monde. Le roi de Bavière écrivit une lettre autographe à M. de Marchal pour lui conférer