Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le caractère d’un scandale ; mais Claire en s’éloignant fit une croix sur la maison. Ni les excuses du chanoine, ni les larmes de sa femme, ni les instances de la famille n’ébranlèrent la résolution des offensés. Marchal dit à M. Kolb : — En tout ceci, monsieur, je ne vois qu’un coupable, et c’est vous.

— Tout père de famille aurait agi comme moi, répondit le chanoine. »

La rupture des relations n’arrêta point les hostilités. Partout où Mlle Kolb rencontrait son ancien poursuivant, elle le poursuivait à son tour avec une animosité féline. Ce n’était plus l’agression directe et brutale, le monde ne l’aurait pas tolérée ; mais elle y suppléait par un million de piqûres invisibles. On ne se parlait pas et l’on se saluait strictement, pour la forme ; mais Adda battait le rappel des jeunes gens par cent coquetteries, elle assemblait un groupe autour d’elle, et alors, prenant le dé de la conversation, elle babillait très-haut, à tort et à travers, et lançait une grêle de malices sur l’infortuné professeur. Sans l’interpeller, sans le nommer, sans même le désigner aux profanes, elle n’ouvrait la bouche que pour le mordre, et ni M. Marchal ni Claire ne pouvaient s’y tromper. Le docteur, en la voyant entrer dans un salon, savait à quoi s’attendre ; il vivait sur le qui-vive, l’esprit tendu, l’oreille au guet, le cœur serré ; la dignité ne lui permettait pas de se cacher ni de s’enfuir ; d’ailleurs il était enchaîné son supplice par cette fascination du mal qui force un honnête homme à boire le poison d’une lettre anonyme. Il se contentait de rougir, de pâlir, de hausser les épaules et parfois d’essuyer son front ruisselant. Certes il aurait fait une bien fausse spéculation, s’il était allé dans le monde pour son plaisir I

Sa femme compatissait par moments à ses peines ; souvent aussi elle était furieuse de le voir absorbé par Mlle Adda.

« Tu n’as écouté qu’elle ! Tu n’as vu qu’elle ! À peine si tu m’as regardée trois fois en trois heures ! S’il faut absolument vous haïr pour attirer votre attention, vilains hommes, dis-le moi ; j’essayerai. Non, va ! reprenait-elle en lui jetant les bras autour du cou, je t’aime ! C’est égal, si cette méchante Adda Kolb avait voulu de toi, tu ne serais pas mon mari. Sais-tu que c’est une chose odieuse à penser ? Mais je n’y pense plus, je n’y penserai plus jamais ; embrasse-moi ! »

Ce qui porta l’irritation de Claire à son comble, c’est qu’elle vit Adda très-entourée et fêtée. Mlle Kolb embellissait : le feu dont elle était dévorée jetait des lueurs étranges par les yeux. Son bavardage déchaîné, le brio de son méchant esprit plut aux hommes en les étonnant. Jamais on n’avait entendu parler une soliste de cette force dans la bonne compagnie de Strasbourg ; le juge suppléant Pastouriau décida qu’elle gagnait le genre de Paris. Pendant