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aujourd’hui à sir Cecil Beadon, sous-gouverneur du Bengale, de publier, sans exciter un cri universel de réprobation, les motifs d’économie politique en vertu desquels il s’est dispensé de porter secours à un million d’Indiens mourant de faim dans Orissa.

Bien qu’amenant tout au grand jour d’une libre discussion, au lieu de tout concentrer entre les mains d’agens non responsables du pouvoir, cette grande centralisation parlementaire peut sembler excessive quand on considère la masse énorme d’affaires, d’importance relativement fort inégale, dont les chambres anglaises se trouvent ainsi surchargées. Dans un de ses admirables dialogues, Galilée, qui écrivait à une époque où les poèmes de chevalerie étaient très populaires et qui les aimait passionnément lui-même, s’est demandé pourquoi la nature n’avait pas créé de ces hommes gigantesques, de ces animaux aux dimensions colossales, qu’au dire des romanciers tout chevalier, errant était sûr de rencontrer en entrant dans le premier bois venu. Le savant toscan, sans résoudre la question, y répond ainsi : La texture des différentes parties d’un animal étant donnée et les lois de son organisation restant les mêmes, il y a une limite de taille que les membres du géant ne sauraient dépasser sans se briser par leur propre poids. Au moral comme au physique, tout dans la nature est soumis à des lois analogues, et il est impossible qu’une trop grande multiplicité de travaux ne nuise point à l’expédition des affaires. A propos d’une échauffourée de nuit qui eut lieu en Allemagne, Napoléon a dit quelque part : « Il n’y a pas de petits incidens à la guerre. » Les Anglais ne semblent admettre de petits incidens en rien. Ils racontent avec satisfaction aux étrangers que, dans une grande maison de banque de Londres où tous les jours on remue des millions, les comptes ayant présenté un soir une erreur d’un penny (dix centimes), personne ne quitta l’établissement que le malheureux penny ne fût retrouvé, — le lendemain matin. De vieux Romains seraient allés souper en disant : Le prêteur ne s’occupe pas de minuties ; mais les Anglais l’entendent différemment. Cela peut être bon une fois chez un banquier pour inculquer aux commis la nécessité de l’exactitude. Appliquées aux affaires d’un grand pays, ces habitudes minutieuses semblent excessives, et il est permis de supposer que si lord Palmerston, par exemple, avait donné moins de temps et d’importance à des affaires subalternes, il lui serait resté plus de loisir pour s’occuper de questions de première gravité, qu’il pouvait traiter dans des temps calmes, et qu’il a léguées à ses successeurs, forcés d’en chercher la solution dans des momens de grande agitation.

Nous sommes un peuple pratique, disent les Anglais, et, conformément à cet axiome, après avoir mis en grande cérémonie le vieux