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serait la vraie, si on se tenait à la lettre du projet. En France, les lois doivent être clairement rédigées.

Bien que l’historique de nos transformations militaires, écrit ici même[1] avec un talent entraînant, ait eu de très nombreux admirateurs, l’exposé des motifs a cru devoir le refaire. On y chercherait vainement une raison sérieuse des combinaisons projetées. Si elles étaient sanctionnées par le corps législatif, dont la responsabilité n’a jamais été plus gravement engagée, elles justifieraient l’effroi que le pays tout entier en a déjà conçu.

Le mariage est avec raison interdit à la partie du contingent à qui la loi impose cinq années de service actif. Les hommes de la réserve ne pourront se marier sans une autorisation spéciale, Quels parens doués d’un peu de prudence confieront volontiers leur fille à un jeune homme qu’un ordre du ministre de la guerre peut à chaque heure du jour appeler au drapeau ?

S’est-on rendu compte du ralentissement et du désordre que les réunions périodiques de cette nombreuse réserve apporteront dans le travail des campagnes, dans le travail des usines, dans les études des jeunes gens voués à l’exercice des professions libérales ? Les fermiers ne désireront-ils pas des auxiliaires toujours présens, les notaires, les avoués, des clercs plus assidus, les magasins des commis plus sédentaires, les académies des étudians moins souvent détournés de leurs travaux utiles à la nation ?

Le mariage sera permis à la plus petite fraction du contingent, qui, dégagée du service actif et de la réserve, n’appartiendra plus qu’à la garde nationale mobile ; mais chaque année, sans compter le temps nécessaire au rassemblement, quinze jours d’exercice, où tant d’uniformes mal portés, mal soignés, subiront de dispendieuses avaries, troubleront encore les saines habitudes de la famille. Nous le disons avec la conviction la plus inébranlable et la plus douloureuse : si le projet de loi est voté sans modifications considérables, les envieux de la France n’auront qu’à attendre, les bras croisés, son épuisement et l’étiolement de son intelligence.

L’exposé des motifs par le en ces termes de la conscription sous le premier empire : « Les chargés qu’elle faisait peser sur la population étaient lourdes, excessives souvent, et excitèrent parfois des mécontentemens et de nombreuses résistances ; aussi son abolition par la charte de 1814 fut-elle accueillie, malgré nos malheurs, par une approbation générale. »

Ces incontestables vérités étonnent sous la plume chargée de faire agréer le nouveau projet de loi.

  1. Voyez la Revue du 1er mars dernier.