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l’urgence de donner à notre infanterie un fusil valant ou ayant la réputation de valoir au moins autant que celui dont cette heureuse puissance avait armé à propos ses bataillons. Même avec les généraux les plus confiais en leur faculté de faire passer leur âme dans l’âme des soldats, il importe que ceux-ci ne croient pas à l’infériorité de leur armement.

En lisant le rapport de l’honorable maréchal Randon, alors ministre de la guerre, et la liste très longue des membres de la commission militaire, nous nous sommes rappelé d’abord que, sous le régime de la loi actuelle de recrutement, la France n’a pas connu de revers, ensuite que le code civil a eu quatre rédacteurs, et les célèbres ordonnances de Louis XIV sur la marine et sur les forêts, chacune deux ou trois ; nous avons pensé aussi à un opéra-comique dont notre enfance s’est amusée, et dans lequel un personnage fait annoncer au son du cor ses desseins secrets.

Le type dont plusieurs écrivains reprochent à notre gouvernement de trop s’écarter dans ses projets est-il bien choisi ? Les hommes qui ne s’inclinent pas sans examen devant la fortune et qui ont recueilli des renseignemens exacts ne le croient pas. Nous ne manquerons jamais à l’égard de l’armée prussienne du respect qu’on se doit entre soldats et même entre ennemis. Si nous nous occupons d’elle aujourd’hui, si nous ne manifestons pas pour elle une admiration sans mélange, c’est qu’elle a partout en ce moment la faveur, du vulgaire.

La foudroyante campagne terminée à Sadowa n’était pas la première épreuve des modernes institutions militaires de la Prusse. Sans parler de la triste guerre de 1849, les deux campagnes contre le loyal et infortuné Danemark, la première peu glorieuse pour l’agresseur, qui fut battu à Istedt, la seconde rendue trop facile par le concours de l’Autriche malavisée, avaient conseillé quelques réformes, donné de l’expérience à une partie des troupes et d’utiles enseignemens à tous les officiers. Et pourtant, malgré ses rapides victoires sur les vaillantes troupes autrichiennes commandées par des généraux dignes d’elles par le courage, mais dont la fortune n’a pas dû couronner la méthode, l’armée prussienne, très jeune, doublée d’une réserve brusquement enlevée à ses occupations sédentaires, a montré qu’elle n’est pas apte à supporter les fatigues d’une longue guerre. Dans une campagne de quelques jours, elle a jonché les routes de ses traînards, encombré les hôpitaux de ses malades. Devant un ennemi tenace, obstiné, disputant pied à pied le sol de la patrie, elle se serait éteinte, malgré sa bravoure incontestée, longtemps avant l’accomplissement de sa tâche.