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fort, ce concert d’imaginations folâtres fut à peu près du bien perdu ; mais le docteur, moins entouré, n’en perdit pas une note.

La colère qu’il en éprouva se traduisit bientôt par un violent appétit du mariage. Il voulut épouser une femme, riche ou pauvre, belle ou laide ; son impatience n’y regardait pas de si près, pourvu que l’affaire se conclût vite. D lui tardait de réfuter par un fait les méchants propos de la ville ; il avait hâte de prouver à la famille Kolb qu’elle n’était pas indispensable à son bonheur ; enfin, s’il faut tout dite, il était arrivé à ce moment décrit par le tanneur, où l’homme épouserait tous les fléaux de la terre plutôt que de rester garçon trois mois de plus.

Il y avait alors à Strasbourg une maîtresse de piano qui s’occupait de mariages. On l’appelait Mlle de Blumenbach, et elle était fille d’un colonel authentique, ce qui lui permettait d’aller dans le monde après l’heure de ses leçons : bonne fille, jolie en son temps, qui avait manqué le coche, et qui se consolait chrétiennement de son célibat forcé en travaillant au bonheur des autres. Elle n’acceptait aucun présent de sa clientèle : seulement elle disait aux jeunes couples : « Dépêchez-vous d’avoir des filles pour que les élèves ne me manquent pas ! » Je vous ai prévenu ; il n’y a que de braves gens dans cette histoire.

Donc Mlle de Blumenbach, ronde comme une pomme et coiffée de ses éternels rubans jaunes, rencontra notre ami Marchal chez le recteur de l’académie. L’instinct les poussa l’un vers l’autre, et la bonne créature, après quatre parties d’écarté à cinq sous, qu’elle avait perdues, apparut radieuse comme un soleil. On remarqua cette transfiguration, et les malins en firent des gorges chaudes. Le juge suppléant Pastouriau, qui était un fin Parisien, conta le lendemain, avant l’audience, que Marchal, en désespoir de cause, avait offert sa main à Mlle de Blumenbach.

On en riait encore au bout de quinze jours, lorsqu’on apprit par les publications légales qu’il y avait promesse de mariage entre Marchal (Henri), professeur à la faculté de médecine, et Sophie-Claire Axtmann, fille mineure du grand manufacturier de Hagelstadt.

Claire Axtmann avait dix-neuf ans ; elle était bien élevée, sinon très-instruite, et jolie à croquer, sinon belle : un bon gros pigeon rondelet, frissonnant, tout plein de gentillesse effarée, caressante et frileuse. Le professeur ne la connaissait pas, quoiqu’il l’eût rencontrée cent fois ou plutôt parce qu’il l’avait cent fois rencontrée et qu’elle avait grandi pour ainsi dire sous ses yeux. Par la même raison, l’attention de la petite avait toujours glissé sur M. le professeur sans s’y arrêter un moment. Elle avait valsé avec lui comme avec beaucoup d’autres, et le cœur n’avait pas battu plus