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moment qu’il allait tout au contraire le faire jeter dehors à cause de l’inconcevable irrévérence. La chose est en effet si incongrue, si monstrueuse, qu’elle offense le spectateur, qui, n’ayant point présent à l’esprit la scène de Schiller, croit avoir mal entendu. Ainsi tronqué, réduit à sa moindre expression, le marquis de Posa n’est plus qu’un simple confident de tragédie, le Théramène d’un autre Hippolyte. Ajoutons à cet inconvénient, déjà bien grave, la monotonie implacable d’un sujet qu’il faut à chaque instant violenter pour l’enrichir d’une mise en scène splendide sans aucun doute, mais qui manque pourtant d’originalité, venant après la Juive, les Huguenots, la Favorite et le Prophète. Des moines et toujours des moines ! Il y aurait de quoi finir par vous les faire prendre en dégoût, si on les aimait ! On a depuis vingt-cinq ans tant couronné d’empereurs, sacré de rois, brûlé d’hérétiques à l’Opéra, que le moment semblerait opportun pour passer à d’autres divertissemens, sans compter qu’avec le réalisme qu’aujourd’hui nous mettons partout l’illusion devient si complète qu’on assiste non plus à la représentation d’un auto-da-fé, mais à l’exécution même. Vous avez vu passer, la mitre en tête et l’ignominieux san-benito jaune sur le dos, une procession de pauvres diables qu’on mène au bûcher, et voici maintenant que de la place où l’affreux cortège s’est arrêté s’élève une fumée sinistre. Au besoin, il ne tiendrait qu’à vous de sentir dans la salle je ne sais quelle odeur nauséabonde de roussi, a L’horrible est le beau, le beau est l’horrible, » hurlent les sorcières de Macbeth. Quant à moi, j’avoue que cette cuisine de saint-office me paraît simplement horrible, horrible surtout cette psalmodie d’un orchestre où nasillent et grondent toutes les voix sépulcrales de la liturgie, et qui dépasse en expression lugubre la fameuse marche du cinquième acte de la Juive, ce qui n’est certes pas peu dire.

Puisque nous avons touché au finale du troisième acte de Don Carlos, pénétrons par là dans l’œuvre du musicien, dont c’est à tout prendre la page la plus considérable. — Nous sommes à Valladolid, sur la place de la Cathédrale, envahie par une foule immense que les hallebardiers ne contiennent plus, et bientôt le défilé commence au bruit d’une fanfare triomphale empruntant ses effets de sonorité et quelque chose aussi de son motif tantôt à la marche de Tannhäuser, tantôt à celle du Prophète. Tout à coup les trompettes cessent de retentir, un glas funèbre roule sourdement dans les profondeurs de l’orchestre ; à genoux, chrétiens ! trêve aux chants d’allégresse, laissez passer la justice de Dieu ! Des moines patibulaires et des familiers du saint-office traversent la scène escortant un groupe d’hérétiques promis aux fagots d’un solennel auto-da-fé qui mijote dans le voisinage pour la plus grande édification du monarque solennellement consacré. Cependant les portes du temple s’ouvrent, et le roi paraît, la couronne au front, le manteau d’hermine et d’or sur les épaules, figure sombrer sinistre, impénétrable, dont cette explosion de bruit et de lumière augmente encore la fauve et tragique grandeur. Sa lèvre blême s’entr’ouvre pour proscrire au nom de la foi, sa main exsangue brandit le glaive, il