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opinions libérales en matière de réforme électorale. Le ministère se décida enfin à donner satisfaction à ce vœu général, inspiré par un très juste sentiment politique. Pour faire un projet de loi acceptable, M. Disraeli et lord Derby durent se résoudre à laisser sortir du cabinet trois de leurs collègues, le général Peel, lord Cranborne et lord Carnarvon. En voyant éclater ce dissentiment, on put pressentir les embarras intérieurs qui avaient condamné les chefs du ministère à une politique tortueuse et lente. Allégé de l’élément rétrograde du cabinet, M. Disraeli a pris tout de suite un élan sain et vigoureux. Il a présenté son bill, et s’est montré prêt à en abandonner les dispositions qui ne réuniraient point la majorité des opinions de la chambre. Rendu à sa liberté d’allures, M. Disraeli a retrouvé la jeunesse de son talent, et il a obtenu un grand succès parlementaire à la seconde lecture du bill. « Faisons la loi par nos efforts réunis, — ce fut son dernier mot, — et après vous renverrez le ministère, si cela vous fait plaisir. » Le public politique a montré une joie aimable de voir le chancelier de l’échiquier retrouver son ancienne verve, et d’avoir, suivant un piquant barbarisme à l’anglaise, out-disraelied Disraeli. e. forcade.




THÉÂTRES.

LES IDÉES DE Mme AUBRAY, comédie en quatre actes, de M. Alexandre DUMAS fils.

Il en est de l’enthousiasme comme des révolutions ; il faut qu’il se justifie par le succès. L’enthousiasme philanthropique de Mme Aubray a-t-il réussi ? Non, puisqu’elle est forcée d’accepter, pour demeurer conséquente à ses idées, un dénoûment qui en est la condamnation absolue et contre lequel sa propre conscience se révolte en s’y prêtant. Le public, gagné par le charme de la mise en œuvré, remué par des situations fortes, où l’auteur montre souvent la puissance et la dextérité d’un maître, entraîné de scène en scène par un dialogue dont l’exquise finesse lui fait traverser doucement et comme à son insu les pas les plus scabreux, songe à peine à discuter la donnée première, et, lorsqu’à la fin on lui impose un dénoûment inacceptable, il applaudit à l’habileté de ce coup d’état dramatique, il se soumet. Que Mme Aubray n’aille pas croire cependant que nos applaudissemens lui donnent gain de cause et prendre notre docilité pour une adhésion.

Le talent de M. Alexandre Dumas fils n’avait pas encore atteint cet art savant et délicat, qui arrive à la simplicité par le calcul, et qui serait le grand art, si la grandeur pouvait se rencontrer dans les sentiers hasardeux du paradoxe. Jamais ses personnages n’avaient possédé, du moins au même degré, cette qualité souveraine, la vie, qui est le sceau des créations originales. Non pas que ceux de la comédie qui nous occupe soient d’une vérité absolue, c’est-à-dire présentent des caractères fort communs dans la