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jours après sa mort, Mme de Montalembert écrivait à la jeune femme qui avait été sa confidente pendant plus de six ans : « On ne la connaissait dans le monde que par les rares talens de son esprit ; elle avait encore plus de droits sur les cœurs par les qualités de son âme. Qu’elle était belle et pure ! » Pour nous qui considérons ces choses à distance, nous ne pouvons nous défendre d’un rapprochement involontaire, et nous nous demandons ce qu’eût été Laurette de Malboissière, si elle fût venue au monde après les secousses qui ont ranimé au fond des âmes les sources de la vie religieuse. Cette question est bien naturelle quand on vient de voir à côté de Voltaire, à deux pas d’Helvétius, au milieu de mille frivolités, chez une jeune fille abandonnée à ses propres instincts, le christianisme le plus simple, le plus enfantin, mais non pas le moins efficace. Faites passer là-dessus la tempête qui a bouleversé les destinées individuelles, ajoutez à cette candeur un ferment-de mysticisme, vous aurez Eugénie de Guérin ou cette jeune femme dont Mme Augustus Craven vient de nous révéler l’histoire.

C’est encore une révélation sur le XVIIIe siècle, mais une révélation bien autrement importante que nous fournit M. Geffroy par ses deux volumes intitulés Gustave III et la cour de France. Nos lecteurs n’ont pas besoin qu’on leur par le longuement de ces curieuses études : ils les ont appréciées ici même[1] ; ils savent avec quel soin, quelle patience, quels scrupules l’auteur a rassemblé dans les bibliothèques de la Suède les matériaux d’un ouvrage qui devait éclairer toute une partie de notre histoire à l’heure la plus émouvante du dernier siècle. Le tableau composé d’après ces recherches n’est pas moins que le reflet de la France aux extrémités de l’Europe du nord, l’image de notre société reproduite au sein d’une société toute différente que la sympathie rapproche de nous et associe à nos destinées. On connaissait un peu vaguement, par la tradition plutôt que par les documens authentiques, les liens qui existaient, il y a cent ans, entre la France et les pays Scandinaves. M. Sainte-Beuve, à qui rien n’échappe, parlant de Mme de Krüdner, voilà trente ans déjà, indiquait très bien la place que les représentai du monde Scandinave, M. de Greutz, M. de Gleichen, avaient occupée dans le monde parisien à la veille de la révolution. Aujourd’hui c’est l’histoire tout entière de ces relations que M. Geffroy déroule à nos yeux à travers les plus tragiques péripéties. Dans un sujet aussi nouveau, l’auteur n’a pas craint de multiplier les détails. Parmi les épisodes d’un tableau qui embrasse tant de choses et réunit des personnages si divers, on remarquera les négociations auxquelles donna lieu le mariage de Mlle Germaine Necker avec le baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède auprès de Louis XVI. En 1778, Mlle Necker n’ayant encore que douze ans, Moultou, l’ami de Jean-Jacques Rousseau, qui était venu passer quelques mois à Paris et qui demeurait à l’hôtel même

  1. Voyez la Revue des 15 février, 1er mars, 1er avril, 15 juillet 1864, 15 août, 15 septembre, 1er octobre, la novembre 1865.