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nouveau, ce serait garder les inconvéniens propres à chacun d’eux en sacrifiant une partie de leurs avantages. N’est-il pas temps de se remettre au point de vue de 1832, de considérer le service militaire comme un devoir et non comme un impôt, le remplacement comme une tolérance et non comme un droit? Trop tarder à terminer une « expérience honnête[1], » mais malheureuse, ne serait pas sans péril, car il ne faudrait pas laisser s’invétérer « l’habitude de l’exonération du service militaire par de l’argent, habitude qu’à un moment donné il pourrait être difficile de vaincre[2]. »

Nous voici arrivés au terme de ce long exposé; nous n’avons pas à conclure : nous n’avons pas de projet à présenter, et nous ne connaissons pas celui qui se prépare dans les hautes régions de l’état. Quand il s’agit de questions qui touchent à l’honneur, à la grandeur, à l’intégrité de la France, nous sommes convaincu que personne ne songera ni à une popularité passagère, ni à un succès d’opposition. Il eût été préférable que cette espèce de révision de notre établissement de guerre se fût accomplie dans un autre moment, après Solferino par exemple plutôt qu’après Sadowa; mais, le débat étant soulevé, il faut bien l’accepter. Si le lecteur partage notre opinion, il croira que la France n’est pas aussi dépourvue d’institutions militaires qu’on veut bien le dire; l’important est de leur rendre ou de leur conserver la sincérité, l’unité, l’efficacité, et, si l’on y touche, de les développer virilement dans un sens national en les plaçant sous l’égide de la liberté. Les enseignemens du passé ne sauraient être perdus. Les belles créations de Louvois n’auraient été qu’un bienfait pour la France, si le pouvoir de Louis XIV avait rencontré un frein. Il faut louer Carnot d’avoir rudement amalgamé gardes nationaux et soldats dans une seule armée; mais l’imprévoyance qui forcerait un gouvernement à recourir à semblable mesure serait aujourd’hui sans excuse. On ne saurait blâmer le sénat de 1813 d’avoir envoyé les « cohortes » en Saxe, puisque c’était en Saxe qu’on devait alors défendre la patrie; mais il aurait fallu empêcher Napoléon d’aller à Madrid et à Moscou. La liberté double la puissance des institutions militaires, elle en règle et modère l’usage; elle n’a rien à en redouter tant que les peuples n’abdiquent pas leurs droits : sa garantie est dans la force de l’opinion, non dans la faiblesse de la milice.


A. LAUGEL.

12 février 1867.

  1. Discours du commissaire du gouvernement dans la discussion sur la loi du contingent, 1861.
  2. Exposé des motifs d’un projet de loi présenté en 1850 par le général d’Hautpoul, ministre de la guerre.