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des paysages des zones tropicales. Formes, couleurs, ondulations bizarres, tout étonne dans ce monde sans pareil. Il y a là d’immenses prairies que forment des myriades de petites conferves feutrées comme un tapis de velours. Nuancées de tous les tons verts imaginables, rehaussées çà et là par l’ample feuillage de la laitue de mer, elles se teintent des chatoyans reflets de la rose marine ou des lueurs écarlates que jettent les flottantes iridées ; puis viennent les grands thalassiophytes avec leurs éventails de feuilles rouges, vertes ou jaunes, — au-dessus les souples rubans des laminaires, — plus haut encore les fières alariées, dont la tige garnie d’une collerette brodée de franges se termine par une feuille unique, énorme, longue de 15 mètres ; enfin du milieu des basses herbes, des buissons et des hautes futaies, s’élève, comme le palmier dans la forêt, le superbe néréocyste, dont l’immense tige d’abord filiforme se renfle graduellement en massue, puis se couronne d’un véritable panache de feuilles rubanées, sorte de lanières flottantes dont on ne saurait se lasser d’admirer les molles et gracieuses ondulations.

C’est en effet par ses mouvemens lents et doux que toute cette forêt sous-marine émerveille le regard. Il est facile de comprendre l’effet que doivent produire à la moindre agitation des vagues toutes ces plantes longues et souples, aux courbes toujours fuyantes et à la chevelure toujours étalée ; mais ce qu’il serait difficile de décrire, ce sont les teintes fugitives qui courent sur ce tableau mouvant, alors que les rayons du soleil se brisant dans les flots en ravivent les couleurs diverses, que mélange et qu’harmonise à l’œil l’estompe glauque des eaux profondes. Que serait-ce si l’on pouvait en même temps dépeindre toutes les créatures vivantes qui animent ces brillans paysages sous-marins, montrer entre mille autres les crabes voyageant au milieu des ulves vertes, les troupeaux de chiens de mer ou les colonnes de harengs argentés se glissant au milieu des grands madrépores, la brillante anémone de mer fleurissant sur des massifs de méandrines, ou la cloche bleuâtre de quelque méduse endormie laissant traîner ses tentacules parmi les longs rubans des laminaires !

Les algues jouent dans l’économie de la nature un rôle dont l’importance est de premier ordre. Elles sont non-seulement la première manifestation du principe organique, mais encore les véritables assises du règne végétal. Simples ébauches d’organisation, elles nous apparaissent comme une sorte d’introduction à la vie. En remontant en imagination jusqu’à cette première et lointaine phase du monde où la croûte terrestre à peine refroidie fut recouverte par les eaux qui flottaient dans l’atmosphère, nous trouvons déjà dans ces eaux encore tièdes le protococcus primordial, dont les