Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

riva peu de temps après au navire anglais la Reine-Charlotte. Il est inutile d’insister sur l’action délétère qu’exercent les moisissures sur tous les objets qu’elles envahissent ; les plus solides édifices tombent en ruines quand on ne les défend pas contre ces invisibles ennemis, et l’on peut dire sans exagération que, si dans la nature tout commence par les cryptogames, c’est aussi par elles que tout finit.

Quelque énergie que manifeste la vie végétale dans le monde océanique, elle y est toutefois moins largement représentée que sur les continens ; mais, par une sorte de compensation, l’on trouve à côté d’elle un mode d’existence tout spécial représenté par la grande famille des polypiers. Cette flore d’un autre genre, animée, complexe, rapprochant des élémens divers et confondant toutes les classifications, nous offre l’étrange spectacle d’animaux vivant dans des plantes (éponge) et de minéraux croissant dans des animaux (corail).

La flore marine proprement dite appartient presque exclusivement aux algues, dont on connaît aujourd’hui plus de deux mille espèces[1]. Cette classe végétale, essentiellement aquatique ; comme le sont tous les groupes inférieurs de chaque embranchement, se compose d’une multitude de plantes diverses qui croissent dans les marais, les lacs, les ruisseaux, les fleuves, les mers et jusque dans les sources thermales[2]. Les algues n’ont ni axe bien déterminé, ni feuilles véritables. Les unes se présentent sous la forme de simples filamens allongés, tandis que d’autres, élargies et plus ou moins étalées en membranes lobées ou découpées, se resserrent à leur partie inférieure, forment une espèce de tige et se terminent par une patte à griffes ou un simple empâtement au moyen duquel elles se cramponnent soit aux aspérités du rivage, soit aux corps solides qu’elles rencontrent dans les eaux. Ces expansions supérieures plus ou moins foliacées et qu’on appelle thalles ou frondes constituent à elles seules presque toute la plante. Du reste, plus rien du tissu végétai dans cette substance étrange dont se composent les algues. Tantôt on dirait du parchemin ou du caoutchouc, tantôt des ramifications cornées ou de véritables membranes animales plus ou moins cartilagineuses qu’on aurait découpées en lobes, en lanières ou en feuilles. Ballons transparens, étoffes gaufrées, gelées tremblantes, rubans de corne, baudriers de peau l’année, éventails de papier vert, les formes les plus disparates se retrouvent dans ce monde bizarre en même temps que des tissus de toute nature,

  1. Dans les eaux de l’Angleterre seulement, on compte 105 genres et 370 espèces.
  2. Elles étendent bien plus loin encore leurs conquêtes et parfois leurs ravages. Il y a toute une catégorie d’algues parasites que les physiologistes rencontrent de toutes parts, sur des insectes, des vers, des limaces, des grenouilles, des salamandres, des poissons, dans les tissus internes des ruminans, dans les yeux de l’homme enfin, sur sa langue, dans sa gorge, et jusque dans ses intestins (Robin, Gruby, etc).