Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se sont retirées vers le nord de l’Europe et de l’Asie quand le climat s’est adouci, il est tout naturel d’admettre qu’il en fut de même pour la race humaine contemporaine de ces animaux. La race basque ou ibère, les sauvages Ligures, qui, au temps de leur soumission par les Romains, habitaient encore dans les cavernes, peuvent fort bien être les descendans de cette population primitive, modifiée par son contact avec les émigrans asiatiques. Ignorant l’art de cultiver le sol, qu’elles ne connurent qu’à l’époque moins reculée des palafittes, les tribus autochthones menaient un genre de vie rappelant beaucoup celui des peuplades de l’Amérique septentrionale et de la Russie arctique, qui les ont peut-être pour ancêtres. Toutefois, comme il y a une liaison étroite à l’origine entre les conditions climatologiques et l’état social, on ne saurait forcément induire d’une identité dans les produits de l’industrie à une identité de race. Les armes, les ustensiles en pierre que fabriquent encore les sauvages de la Polynésie et de certaines îles de la mer des Indes, que l’on retrouve chez les anciens peuples du Nouveau-Monde, offrent une similitude remarquable avec ceux qui proviennent en Europe des tombeaux et des plus anciens dépôts. M. F. Lenormant a signalé la ressemblance d’une hache en pierre dure recueillie par lui à Lébadée (Grèce) avec celles qu’on a recueillies à Java, et d’un nucleus en obsidienne retiré d’une antique sépulture de Santorin avec des nucleus de même matière apportés du Mexique.

Ces coïncidences nous autorisent à admettre que les hommes de l’âge de pierre se trouvaient dans un état social comparable à celui des insulaires d’Andaman, de la Nouvelle-Calédonie, ou plutôt à celui des Groënlandais, des Esquimaux. Un fait vient à l’appui de ce rapprochement. On a extrait des cavernes et des dépôts anciens de la France, de la Suisse, de l’Angleterre, des pierres oblongues d’un centimètre environ, offrant d’un côté une face plate et de l’autre une face convexe pourvue d’un manche assez court, et qui sont identiques à celles dont les Esquimaux se servent comme de racloir pour préparer les peaux dont ils se vêtent. Au reste, les analogies entre les hommes primitifs et les sauvages que nous connaissons ne s’arrêtent pas là, et M. J. Lubbock les a mises en relief dans un livre plein d’intérêt.

Habitant au bord des fleuves, au milieu des lacs, ces populations éprouvèrent promptement le besoin de se construire des embarcations, et celles qu’on a retrouvées dans des tourbières et en creusant le lit de certains cours d’eau rappellent à beaucoup d’égards les pirogues des Polynésiens et les kayaks des Esquimaux et des Groënlandais. Elles sont presque toutes creusées dans un seul tronc d’arbre, et quelques-unes semblent avoir été pourvues d’un mât.