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en les admettant, il n’en reste pas moins certain que les inconvénient du double étalon l’emportent incomparablement. Locke en avait déjà signalé le principal avec une précision qu’on s’étonne de rencontrer à une époque où les questions économiques étaient encore si peu élucidées. « Deux métaux tels que l’or et l’argent, dit-il, ne peuvent servir au même moment, dans le même pays, de mesure dans les échanges, parce qu’il faut que cette mesure soit toujours la même et reste dans la même proportion de valeur. Prendre pour mesure de la valeur commerciale des matières qui n’ont pas entre elles un rapport fixe et invariable, c’est comme si l’on choisissait pour mesure de la longueur un objet qui fût sujet à s’allonger ou à se rétrécir. Il faut donc qu’il n’y ait dans chaque pays qu’un seul métal qui soit la monnaie de compte, le gage des conventions et la mesure des valeurs. » Il serait difficile de mieux dire. Qu’on nous permette un exemple qui rendra plus frappante l’idée si juste de Locke. Prenez un cube de fer et un cube de tourbe, qui à un moment donné pèsent tous les deux 1 kilogramme, et déclarez-les également étalon de poids ; qu’en résultera-t-il ? C’est que le marchand se servira alternativement de l’un et de l’autre poids, suivant l’état hygrométrique de l’atmosphère. S’il fait humide, il prendra le kilo de fer ; mais du moment que la sécheresse de l’air aura diminué le poids de la tourbe, il emploiera cet étalon, afin de livrer une moindre quantité de ses marchandises. Le double étalon a donc pour effet de permettre au débiteur de faire une banqueroute partielle en livrant toujours la monnaie qui a le moins de valeur.

Le double étalon est une contre-vérité ; il est sans cesse démenti par la nature des choses. La loi prétend établir entre l’or et l’argent le rapport fixe de 15 1/2 et, et ce rapport n’existe presque jamais, parce qu’entre deux marchandises il n’y a pas de relation immuable. Toutes les valeurs sont sujettes à de constantes variations. Dans l’antiquité, l’or ne valait que 10 ou 12 fois l’argent, et dans l’extrême Orient il en est encore de même. Avant la découverte des placers australiens et californiens, la valeur de l’or était à celle de l’argent comme 15 3/4 est à 1, puis elle est tombée à 15 1/4 ; aujourd’hui elle tend de nouveau à se relever. Le système monétaire est donc constamment en contradiction avec les faits. De là résulte qu’il n’est qu’une fiction : le but qu’on poursuit n’est point atteint. Jamais l’or et l’argent n’ont circulé en même temps d’une façon régulière quand les deux métaux étaient déclarés étalon, — légal tender, — c’est-à-dire lorsqu’on pouvait s’acquitter de toute dette soit avec de l’or, soit avec de l’argent. Toujours la monnaie dépréciée a seule été maintenue dans la circulation. Tout