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millièmes de fin. De ce choix que le système du double étalon laisse au débiteur de se libérer tantôt avec de l’or, tantôt avec de l’argent, sont nées les difficultés auxquelles la convention monétaire du 23 décembre 1865 a essayé de porter remède. Il n’est pas difficile de comprendre comment elles se sont produites. C’est en vain que la loi déclare que 1 kilogramme d’or vaut 15 kilogrammes 1/2 d’argent. La valeur relative de ces deux métaux dépend des quantités qui en sont produites et consommées, offertes et demandées. Avant la découverte des placers de l’Australie et de la Californie, l’or valait plus de 15 fois 1/2 l’argent. Il en résultait qu’en France l’argent était le seul agent de la circulation. Les pièces d’or étaient une monnaie de luxe, une marchandise qu’on achetait en cas de besoin chez les changeurs en payant une prime de 5 à 10 par 1,000. Tous les paiemens se faisaient en écus de 5 francs. Quand l’or de l’Australie et de la Californie arriva sur le marché européen par afflux annuel d’environ 1/2 milliard, le rapport de valeur entre les deux métaux se modifia peu à peu en faveur de l’argent, qui commença de faire prime, d’autant plus qu’il était très recherché à cette époque pour payer les marchandises de l’Indo-Chine, dont l’importation en Europe augmentait rapidement. Il y eut dès lors, pour les négocians en métaux précieux, une opération très fructueuse à faire dans tous les pays à double étalon. Au moyen de 1 kilogramme d’or transformé en napoléons à la Monnaie, ils achetaient 15 kilogrammes 1/2 d’argent en pièces de 5 francs, et, comme sur le marché extérieur ces 15 kilogrammes 1/2 d’argent valaient plus que le kilogramme d’or, la différence constituait leur bénéfice. Ils ne prirent d’abord que les pièces les moins usées, parce qu’elles contenaient le plus de métal fin, mais de 1856 à 1859 la demande d’argent pour l’Inde devint si intense et la prime si forte, que presque toutes les pièces d’argent furent enlevées, même celles de 1 franc et de 1/2 franc, que le frai, c’est-à-dire l’usure, n’avait pas trop réduites. De 1852 à 1860, les relevés de la douane constatent que plus de 1 milliard 1/2 d’argent s’écoula de la France, remplacé par 2 milliards 1/2 d’or.

La France et les pays qui avaient le même système monétaire étaient devenus un vaste et productif placer d’argent qu’on exploitait au profit de l’extrême Orient. Ce courant métallique, qui depuis la plus haute antiquité se dirige toujours en sens inverse du soleil, d’occident en orient, avait pris à cette époque un caractère particulier : il apportait l’or en. Europe et en emportait, l’argent. C’est alors que, au grand effroi de certains économistes et à la satisfaction non moins grande du public, se produisit cette révolution monétaire qui substitua dans nos mains au lourd et encombrant écu de 5 francs les élégantes et portatives pièces d’or.