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auxquelles vous exposent ces fréquens changemens de monnaie. Qui a voyagé de l’autre côté du Rhin sans entendre de fréquentes récriminations à ce sujet ? Ce sont là des misères, dira-t-on peut-être, auxquelles l’économiste ne peut prêter attention ; de minimis non curat prœtor. Les pertes d’argent qui en résultent sont de peu d’importance sans doute, mais l’irritation qu’elles occasionnent, les préjugés hostiles qu’elles entretiennent, nuisent plus qu’on ne le croit aux bons rapports des nations entre elles. N’a-t-on pas vu naguère la presse de l’Angleterre et celle de la Prusse se renvoyer les accusations les plus irritantes et enflammer les susceptibilités nationales à propos d’une altercation survenue entre un touriste anglais et un garde-convoi prussien ? Sous bien des rapports, les peuples sont encore de grands enfans, et rien n’est indifférent de ce qui peut faciliter leurs relations et supprimer des occasions de froissemens et de malentendus. Ce n’est pas un minime résultat obtenu par la récente convention monétaire, d’avoir permis au voyageur de parcourir la Belgique, la France, la Suisse, l’Italie, et de se rendre des bouches de l’Escaut au pied de l’Etna en se servant partout de la même monnaie.

La solidarité chaque jour plus étroite des différens marchés monétaires trouverait aussi un utile auxiliaire dans l’emploi d’un même agent de la circulation. Il en était autrefois des métaux précieux comme du blé. Chaque nation, cantonnée dans son égoïsme, s’efforçait d’en conserver pour elle-même un large approvisionnement, au risque d’augmenter la détresse du voisin. Comme tous agissaient de même, chacun était atteint à son tour bien plus rudement que si le surplus relatif des uns était venu alternativement compenser le déficit dont souffraient les autres. Aujourd’hui les barrières se sont abaissées. L’argent et le blé peuvent se diriger vers les marchés où les attirent la demande et l’appât des hauts prix. Il est bon que rien ne vienne arrêter ce mouvement naturel vers l’équilibre et l’égalité. L’eau se précipite dans les creux pour se mettre partout au même niveau ; de même, tous les produits tendent à quitter les endroits où ils abondent pour se diriger vers ceux où ils font défaut. L’adoption d’une monnaie internationale favoriserait ce mouvement dont les deux parties profitent. L’argent, obéissant à l’action du change comme les marées à l’influence des astres, tend à affluer là où l’appelle l’élévation du taux de l’intérêt ; mais, dans ses va-et-vient de flux et de reflux, il rencontre un obstacle qui naît de la diversité des types et des étalons monétaires. Dans le pays d’origine, la monnaie a une puissance d’acquisition égale à sa valeur nominale ; à l’étranger, elle ne vaut plus que comme marchandise. Il y a donc généralement une perte à subir lorsque l’on exporte du numéraire, et cette perte constitue