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LA
MONNAIE INTERNATIONALE

Par un singulier contraste, tandis que les gouvernemens s’efforcent de toutes parts de rendre leur établissement militaire plus redoutable en perfectionnant l’armement et en augmentant le nombre de leurs soldats, les peuples travaillent à resserrer leurs relations, à les faciliter, à les multiplier par la construction de chemins de fer et de lignes électriques, par la réduction des droits qui s’opposent aux échanges et par l’adoption des mêmes lois commerciales. Dans les affaires contemporaines, on observe ainsi deux courans allant en sens contraires, l’un vers l’hostilité et la lutte, l’autre vers l’harmonie et la paix. Parmi les faits pacifiques qui ont pour résultat de favoriser les relations internationales, on peut signaler le mouvement qui se produit de tant de côtés divers pour arriver à un système commun de poids, de mesures et de monnaies. L’union monétaire entre tous les peuples, si on parvenait à l’établir, constituerait un des plus heureux progrès de notre époque. On n’en est pas aussi éloigné qu’on aurait pu le croire naguère, et ce qui n’était considéré, il y a peu d’années, que comme une chimérique utopie[1] pourrait avant peu se transformer en réalité. La

  1. Déjà au XVIe siècle, dans l’enthousiasme de la rénovation qui semblait alors devoir transformer le monde, cet idéal de fraternité universelle fut entrevu par un homme de bien que l’esprit d’union qui est dans l’Évangile rendait pour ainsi dire prophète. M. Reeve rappelait récemment dans l’Edinburgh Review ces quatre vers si remarquables du landgrave de Hesse :
    Hätten wir alle einen Glauben,
    Gott und Gerechtigkeit vor Augen,
    Ein Gewicht, Maass, Munz und Geld,
    Dann stünde es besser in dieser Weld.
    « Si tous les hommes, élevant leurs regards vers Dieu et vers la justice, avaient mêmes croyances, mêmes poids, mesures et monnaies, tout irait bien mieux dans ce monde. » Simon Stevin, de Bruges, cet ingénieux précurseur des hautes mathématiques, l’inventeur d’un système complet de numération décimale applicable aux poids, mesures et monnaies, indique le moyen de réaliser la réforme monétaire dans son curieux traité intitulé la Disme enseignant facilement à expédier par nombres entiers, sans rompus, tous comptes se rencontrant aux affaires des hommes. Dans ses tables d’intérêts (en flamand Tafelen van interest), il donnait déjà en 1582 la première application des fractions décimales, et aujourd’hui, en 1867, après deux siècles de progrès en tout genre, ni l’Angleterre ni l’Allemagne ne sont encore parvenues à adopter ce système si commode et si parfait, vainement réclamé par tous les hommes d’affaires.