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originalité de la manière. Peut-être, dans cet ordre de travaux, ne trouverait-on à rapprocher des dessins du maître moderne que les portraits gravés par van Dyck, si les procédés de l’eau-forte et la disparité des styles permettaient d’ailleurs d’insister sur la comparaison.

Cette infatigable perspicacité du sentiment en face de la réalité, cette faculté de saisir et de rendre dans leurs variétés infinies les apparences de la vie et de la forme, on les retrouve avec une complète évidence là où il s’agissait pour le peintre non plus d’un croquis à crayonner en quelques instans, mais d’une image à fixer sur la toile en employant toutes les ressources du modelé et du coloris. Les portraits peints par Ingres ne méritent pas seulement d’être comptés parmi les plus beaux qu’ait produits notre école, si riche d’ailleurs en morceaux de ce genre ; ils sont faits pour figurer sans faiblir à côté des œuvres les plus considérables de l’art étranger, et le moins qu’on puisse dire du grand peintre qui les a signés, c’est qu’il a su concilier dans l’exécution l’extrême vraisemblance avec les suggestions du goût personnel et les intentions spontanées avec le respect des hautes traditions.

Faut-il maintenant discuter une à une les objections que le talent d’Ingres a soulevées et le justifier des reproches de détail adressés soit à telle de ses inspirations ou de ses habitudes, soit à telle de ses œuvres en particulier ? A peine semble-t-il nécessaire de rappeler en terminant deux chefs d’accusation assez souvent articulés contre le maître, et qui tendraient à l’exclure de la classe des peintres pour le reléguer dans celle des artistes capables seulement de manier l’ébauchoir ou le crayon, comme à lui refuser une place parmi les artistes véritablement et naturellement inspirés.

« Il est sans exemple, disait Ingres, qu’un grand dessinateur n’ait pas trouvé la couleur qui convenait exactement au caractère de son dessin. » Nous ne chercherons pas d’autre argument pour faire justice des regrets ou des dédains exprimés à propos du coloris choisi par le plus récent de ces « grands dessinateurs. » Ingres, cela est certain, n’a ni les préférences ni les habiletés d’un coloriste à prendre cette qualification dans le sens exclusif et un peu arbitraire qu’on a coutume de lui attribuer. Il n’est pas coloriste à l’exemple des Vénitiens, qui réussissent à déduire l’harmonie de l’intensité même et de l’éclat presque égal des tons employés ; il ne l’est pas non plus à la façon des Flamands du XVIIe siècle, qui procèdent par des affirmations et des négations alternatives, et dont le pinceau, pour assurer la prédominance de certaines couleurs, en sacrifie d’autres jusqu’à l’effacement. L’art du maître moderne consiste plutôt dans la franchise avec laquelle il reproduit l’unité