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tout a réussi à souhait; mais l’institution des vétérans n’a pas tenu ce qu’on s’en promettait. Ceux de la classe de 1816 avaient seuls été rappelés; tous n’avaient pas obéi, et ceux qui répondirent à l’appel n’avaient pas caché leur mécontentement. Ce double fait s’explique par une cause générale et par des raisons particulières. D’abord il est toujours difficile de faire comprendre à l’homme qui « sert pour son sort, » — qu’on veuille bien me passer cet emprunt à l’argot militaire, — la différence qui sépare le congé provisoire du congé définitif; une fois le certificat de bonne conduite mis dans le tube de fer-blanc et le dos tourné à la caserne, il regarde sa dette comme payée. En 1823, cette opinion était d’autant plus enracinée chez les vétérans qu’ils avaient alors en main, non pas seulement leur congé, mais leur libération. La guerre d’Espagne n’était pas populaire; on ne la jugeait pas bien périlleuse; les soldats de 1816 s’étonnaient qu’on les eût convoqués pour si peu; la mesure n’ayant pas atteint les autres classes, leur mauvaise humeur redoublait. Placés dans les régimens par une interprétation large de la loi de 1818, ils avaient cependant été maintenus dans les dépôts par respect pour le texte de cette loi; au dépit causé par l’incorporation se joignait la quasi-humiliation « de ne pas marcher. » Cette expérience malheureuse n’était donc pas concluante; mais on la tint pour telle. Le gouvernement proposa aux chambres de rapporter le titre IV de la loi de 1818, de porter le chiffre du contingent annuel à 60,000 hommes et la durée de service à huit ans. Ces deux dernières dispositions étaient suffisamment motivées par la nécessité de remplacer la ressource dont on se privait en supprimant les vétérans et de suppléer au déficit des appels. En effet, si le nombre des insoumis allait toujours en diminuant, celui des exemptés pour imperfections physiques avait dépassé les prévisions, et ne pouvait manquer d’augmenter à mesure que le recrutement atteindrait les générations conçues au milieu des grandes hécatombes de l’empire. La nouvelle durée du service était celle des anciens engagemens[1]; combinée avec le chiffre du contingent, elle permettait de porter l’armée au complet de guerre de 400,000 hommes, qui, fixé par Saint-Cyr et alors déclaré suffisant par toutes les autorités, avait servi de base à la formation des cadres. Pour ménager les populations et renfermer l’effectif dans les limites établies par les chambres, la couronne avait le droit de laisser provisoirement dans leurs foyers un nombre indéterminé de jeunes soldats.

Bien que le maréchal Suchet, rapporteur très compétent, eut

  1. Ordonnances de 1776, de 1791, et règlement de 1792.