Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

égard que toutes les phrases après coup, et mettront en relief avec une autorité sans réplique ce que de longues dissertations arriveraient tout au plus à faire pressentir.

Veut-on entendre, par exemple, Ingres gourmandant la paresse de l’esprit en matière d’art et de recherche du vrai, ou enseignant à quelles conditions cette vérité peut être découverte et rendue :


« Ce que l’on sait, dit-il, il faut le savoir l’épée à la main ; ce n’est qu’en combattant qu’on acquiert quelque chose, et le combat, c’est la peine qu’on se donne. »

« Ayez de la religion pour votre art. Ne croyez pas qu’on produise rien de bon, d’à peu près bon même, sans élévation dans l’âme… Pour vous former au beau, ne voyez que le sublime. Ne regardez ni à droite ni à gauche, encore moins en bas. Allez la tête levée vers les deux, au lieu de la courber vers la terre, comme les porcs qui cherchent dans la boue. »

« Aimez le vrai, parce qu’il est aussi le beau, si vous savez le sentir et le voir… Si vous voulez voir cette jambe laide, je sais bien qu’il y aura matière ; mais je vous dirai, moi, prenez mes yeux, et vous la trouverez belle. »

« En étudiant la nature, n’ayez d’yeux d’abord que pour l’ensemble. Interrogez-le, et n’interrogez que lui. Les détails sont de petits importans qu’il faut mettre à la raison : la forme large et encore large ! La forme, elle est le fond de tout. La fumée même doit s’exprimer par le trait. »

« Dessiner ne veut pas dire seulement reproduire des contours. Le dessin, c’est encore l’expression, la forme intérieure, le plan, le modelé. Voyez ce qui reste après cela ! Le dessin comprend les trois quarts et demi de ce qui constitue la peinture. Si j’avais une enseigne à mettre au-dessus de ma porte, j’écrirais école de dessin, et je suis sûr que je ferais des peintres. »


S’agit-il de stimuler le zèle de ses élèves pour l’étude de l’antique ou des œuvres de la peinture au temps de la renaissance :


« Croyez-vous, s’écriera le maître, que je vous envoie au Louvre pour y trouver le beau idéal, quelque chose d’autre que dans la nature ? Ce sont de pareilles sottises qui, aux mauvaises époques, ont amené la décadence de l’art. Je vous envoie là parce que vous apprendrez des antiques à voir la nature, parce qu’ils sont eux-mêmes la nature : aussi il faut vivre d’eux, il faut en manger… De même pour les peintures des grands siècles. Croyez-vous qu’en vous ordonnant de les copier, je veuille faire de vous des copistes ? Non ; je veux que vous preniez le suc de la plante… Adressez-vous donc aux maîtres, parlez-leur, ils vous répondront, car ils sont encore vivans. Ce sont eux qui vous instruiront : moi, je ne suis que leur répétiteur. »


Enfin il est une pensée qui, sous différentes formes, revient souvent dans ces entretiens d’Ingres avec, ses élèves, c’est celle qui a trait à de secrets rapports entre la peinture et la musique :