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nant Sarytschev apprit pendant un voyage à Yakoutsk que le cadavre entier d’un mammouth venait d’apparaître sur les bords de la rivière Alaséia; il était debout, couvert de sa peau et de ses poils; le flot, en creusant la berge, l’avait mis à nu. Sarytschev ne jugea pas à propos de se déranger de sa route pour constater le fait. Des pêcheurs tongouses découvrirent un autre mammouth en 1799 sur les bords de la Mer-Glaciale, près de l’embouchure de la Lena; ce n’est qu’en 1806 que le botaniste Adams, instruit de cette trouvaille, arriva sur les lieux. Le monstrueux cadavre était déjà fort mutilé; on avait enlevé les défenses et dépecé les chairs pour en nourrir les chiens; les ours blancs avaient également pris part à cet étrange festin. Adams sauva le squelette et une portion de la peau; ces débris ont été déposés au musée d’histoire naturelle de Saint-Pétersbourg. Le célèbre voyageur Middendorff découvrit en 1843 le cadavre à demi décomposé d’un veau de mammouth près de l’embouchure du Taimyr. Enfin, l’année dernière, l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg a envoyé en Sibérie un géologue distingué, M. Frédéric Schmidt, pour rechercher les derniers débris d’un mammouth qu’un Samoïède avait trouvé en 1864 dans la baie du Tas, bras oriental du golfe de l’Obi. Malheureusement une lettre de M. Schmidt, datée du mois d’octobre dernier, laisse peu d’espoir qu’on parvienne à sauver quelque chose de cette épave d’un autre monde.

Le mammouth a dû être très répandu dans le nord de la Sibérie, si on réfléchit que tous les ans on exporte en moyenne 16,000 kilogrammes d’ivoire fossile provenant des défenses d’environ deux cents individus. M. de Middendorff s’est efforcé de démontrer que ces restes ont été charriés dans les régions polaires par les fleuves de la Sibérie en même temps que le bois fossile (bois de Noë) qu’on y rencontre en gisemens immenses, et que le vrai habitat des mammouths est la partie centrale de l’Asie. Dans cette hypothèse, le climat du nord de la Sibérie aurait été toujours tel qu’il est aujourd’hui. Toutefois la position des cadavres qui ont été retrouvés semble indiquer que ces animaux sont morts sur place; ce qui confirme cette opinion, c’est qu’on les trouve non pas dans la glace proprement dite, mais dans la terre gelée et couverte de neige. Ils paraissent donc avoir vécu dans des marais où ils se sont noyés et gelés, ce qui est d’ailleurs conforme à une tradition qui existe chez les indigènes. Dès lors il faut supposer que le clim.it de la Sibérie septentrionale comportait autrefois une végétation suffisante pour nourrir ces géans du règne animal. Quant à l’époque de leur disparition, les découvertes récentes de M. Lartet et de quelques autres géologues conduisent à admettre qu’elle est postérieure à la venue de l’homme sur la terre; on peut même supposer que l’homme a chassé le mammouth et a contribué à le faire disparaître du globe, comme il finira par faire disparaître l’éléphant des temps actuels.


R. RADAU.


L. BULOZ.