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cipation, grâce auquel le gouvernement suprême de la vie et des sociétés lui est désormais assuré. Une puissance nouvelle, celle de la science, est née au monde. Au premier pas de cette puissance, dont Galilée est un des premiers et des plus glorieux représentans, la vieille autorité, encore en possession de commander aux consciences, prend l’alarme, et, pour maintenir sa souveraineté menacée, elle prétend confondre sa rivale et arracher à Galilée une trahison. Jamais, il faut l’avouer, plus belle occasion ne s’offrit à un homme d’être un héros, de rendre témoignage à la science en prouvant qu’elle est aussi une force morale pour laquelle on peut mourir, et qui seule peut braver les menaces et les démentis furieux de tout un monde. Cette occasion, Galilée l’a manquée. Appelé à faire au dieu nouveau de la certitude le sacrifice que tant d’autres avaient fait au dieu des mystères, il n’a pas entendu cet appel ; il a le malheur d’avoir montré au monde que le génie scientifique le plus hardi peut s’associer à la faiblesse du caractère ; et que la plus vaste curiosité de l’esprit ne vaut pas pour l’action la fierté d’une âme soutenue par la plus humble conviction morale. Au lieu d’être un héros de la pensée, il est le premier de ces savans trop nombreux en qui l’étendue des connaissances et la nouveauté des découvertes s’unissent à un scepticisme moral affligeant, qui nous frappent d’admiration par la beauté de leur génie, mais qui, par les misères de leur conduite et l’inconsistance de leur caractère, nous dispensent du respect. La puissance de son génie et la solennité des épreuves qui lui ont été imposées placent Galilée au niveau des plus grands hommes ; la manière dont il les a supportées l’abaisse au rang des plus ordinaires. Voilà la contradiction violente, irrémédiable, qui devait exclure ce sujet de la scène, et dont M. Ponsard n’a pu triompher qu’en le faussant.

Il serait absurde de vouloir mettre l’auteur dramatique au supplice d’une fidélité littérale et servile à la chronique ; on nous fera, j’espère, la grâce d’admettre que telle n’est pas notre pensée. L’imagination a des franchises nécessaires, et nous lui reconnaissons volontiers le droit de parer comme elle l’entend le héros qu’elle emprunte à l’histoire, de le dégager des misères de son existence réelle et des défaillances qui ont été dans sa vie le tribut inévitable payé à l’humanité. Le poète peut faire ce que faisait autrefois la légende populaire quand elle transformait ? ses héros en demi-dieux sans les altérer, fondant le métal brut de l’histoire au feu de son idée pour en tirer une expression supérieure de la vérité humaine. Il était assurément fort permis à M. Ponsard de simplifier Galilée, de le montrer sur la scène aussi fier qu’il le fut peu dans l’histoire, de faire abstraction de la politique, plus savante qu’élevée, qu’il ne dédaigna pas d’employer pour mettre sa doctrine à couvert des accusations d’hérésie, d’oublier et ses pourparlers avec Rome et ses concessions de forme à la censure, qui font plus d’honneur à son esprit qu’à son courage ; mais ce que la légende elle-même n’eût jamais pu supprimer de l’histoire de Galilée, ce que le