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mens de famille sur des scrupules qui, à ce qu’il semble, ne sont plus de ce temps.

Si M. Ponsard était un de ces réalistes déclarés qui ne cherchent dans l’histoire que de dociles interprètes des mœurs et des sentimens contemporains, on s’expliquerait qu’il eût ainsi compris son sujet. On ne peut nier qu’aujourd’hui, pour quiconque s’embarrasse d’une cause ou d’une idée périlleuse à défendre et à propager, il n’y ait d’abord un obstacle domestique à surmonter. Les femmes, les filles sont là pour rappeler à la prudence celui qui l’oublie, pour le soutenir contre de mauvaises tentations d’héroïsme, et le sage, au jugement de l’opinion commune, est celui qui les écoute, le coupable et le fou celui qui leur résiste. M. Ponsard est resté fidèle à la vérité de son temps; mais nous ne pouvons oublier qu’il a passé autrefois pour un disciple, les gens sévères disaient pour un imitateur attardé de Corneille. Sans doute il a voulu montrer combien cette imputation était imméritée en prenant juste le contre-pied de l’héroïsme cornélien. Le vieil Horace ne s’inquiétait pas des larmes de Sabine, des soupirs de Camille; il immolait aveuglément sa famille à sa chimère, et cette rudesse sauvage était applaudie par la génération contemporaine de Richelieu. La sagesse qui nous apprend à sacrifier le futile intérêt d’une idée, celui de la patrie, de la liberté, de la science, à l’intérêt touchant et souverain de la famille, n’était pas encore inventée. Au reste nous n’entendons nullement prêter à M. Ponsard un calcul qui lui a été certainement étranger; c’est à son insu, par un instinct auquel l’auteur dramatique obéit assez souvent sans s’en douter, qu’il s’est mis au niveau de son auditoire, et qu’il a transformé une des chutes morales les plus célèbres de l’histoire en une victoire des modestes vertus du foyer.

Loin de vouloir surprendre les sympathies du public, il n’est pas impossible que M. Ponsard eût l’intention de traiter son sujet héroïquement. L’événement a trompé sa bonne volonté : il n’est pas facile de prévaloir contre ses propres dispositions et contre le tempérament de son époque. Il était plus difficile encore de se tirer heureusement d’une contradiction, inhérente au sujet, dont on s’étonne que M. Ponsard ne se soit point aperçu. Si grandes que soient en effet notre admiration et notre sympathie pour Galilée, et de quelque honte que se soient à jamais couverts ses persécuteurs, sa défaillance nous humilie et nous centriste en dépit de nous. Il a manqué au rôle que la grandeur de son génie lui imposait, il a fléchi sous la tâche que le destin lui avait dévolue. Songez-y : Galilée a le front couronné du rayon divin qui annonce les initiateurs et fixe les regards du monde; sa gloire et la légitime autorité de son nom remplissent l’Europe; il a doté ses contemporains et l’avenir d’une suite de vérités qui élargissent la création et révèlent à la pensée un univers nouveau. Il a fait plus, et c’est là son plus grand titre, il a doté l’intelligence humaine d’un levier qui centuple ses forces, d’un instrument de certitude, c’est-à-dire d’éman-