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vrier suivant, M. Portails fit le rapport et conclut à l’adoption d’un article unique ainsi conçu : a quiconque transmettra sans autorisation des signaux d’un lieu à un autre, soit à l’aide de machines télégraphiques, soit par tout autre moyen, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 100 à 10,000 fr. » La loi fut votée le 14 mars 1837 par 112 voix contre 37. Tout l’effort des ministres, de la commission, des orateurs, avait été de prouver que la télégraphie deviendrait un instrument de sédition des plus dangereux, si par malheur on ne lui interdisait pas sévèrement de servir aux correspondances du public. Moins de treize ans après, une loi devait battre en brèche ces vieux argumens et faire entrer la télégraphie privée dans le droit commun.

Mais ce qui devint possible avec la télégraphie électrique ne l’était pas avec la télégraphie aérienne ; celle-ci allait être bientôt renversée par sa jeune et toute-puissante rivale. Dès le 2 juin 1842, à propos d’un crédit de 30,000 fr. demandé à la chambre des députés pour faire un essai de télégraphie nocturne, Arago put dire : « Nous sommes à la veille de voir disparaître non-seulement les télégraphes de nuit, mais encore les télégraphes de jour actuels. Tout cela sera remplacé par la télégraphie électrique. Nous avons eu en 1838, à l’Académie des Sciences, un appareil construit par un physicien américain, M. Morse, et qu’on a pu faire fonctionner[1]. » Avant de rentrer dans le néant, le télégraphe aérien, qui déjà avait tant fait pour la France, devait lui donner une dernière et glorieuse preuve de dévouement. Il a affirmé sa naissance en annonçant la prise de Condé, il devait employer ses derniers efforts à assurer le succès du siège de Sébastopol. Nos appareils transportés en Crimée ont rendu d’incalculables services, et la conduite vigoureuse et souvent héroïque des employés a montré que le vieux sang gaulois n’avait rien perdu de sa vigueur et de sa générosité.

Au moment où ils disparurent pour toujours[2], les télégraphes s’étendaient en France sur un espace de 1,250 myriamètres divisés en cinq cent trente-quatre stations. Le point central, le moyeu de ce rayonnement de signaux, était la tourelle du ministère de l’intérieur, dont les télégraphes, placés aux quatre faces, correspondaient, à Paris, avec le poste du ministère de la marine (ligne de

  1. Le Moniteur (3 juin 1842) fait une singulière faute d’impression ; il imprime : qu’on n’a pu faire fonctionner. Le sténographe, trompé certainement par la liaison euphonique de l’n et de l’a, en a fait une négation.
  2. Les télégraphes aériens disparurent en province en 1854, lors de la création de la ligne électrique de Besançon. À Paris, on les conserva jusqu’en 1858 ; le dernier fut celui des buttes Montmartre.