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à 47,000. Et pourtant dans l’intervalle il avait pu apprécier la nature des conflits qui devaient en son absence surgir du contact des troupes de ligne et des troupes privilégiées. A Fuentes de Oñoro, Masséna, rejoint la veille par une partie de la garde, voulut naturellement s’en servir; mais l’artillerie ne put avancer, la cavalerie ne put charger, les fourgons ne purent aller chercher des cartouches sans un ordre spécial du commandant particulier de la garde, qu’on ne trouva jamais au moment opportun, et le succès de la journée, qui aurait pu appartenir à la France, restait à l’armée anglaise. Avec le système que Napoléon avait établi, avec l’esprit qu’il avait introduit dans l’armée, il aurait fallu qu’il fût partout. A force de ne parler que du service de l’empereur, on ne songeait pas toujours assez au service de la patrie, et loin de l’œil redouté du maître on en prenait parfois à son aise; on était peu disposé à s’entr’ aider ou à obéir. On n’était plus au temps où Moreau se mettait sous les ordres de Joubert, qui n’était que colonel quand son nouveau lieutenant commandait l’armée du Rhin. Et lorsque dans la cour des Tuileries, en 1815, Napoléon poussa le vieux cri de vive la nation! oublié depuis seize ans, les fédérés seuls répondaient; autour de l’empereur, on ne comprenait plus cet anachronisme.

Revenons à 1809. Au milieu de la confusion qui augmente. Napoléon peut encore se reconnaître. Grâce à sa mémoire, à sa vigilance, à ses rares facultés de tout genre, il n’oublie aucun détail, et suit d’un bout à l’autre de l’Europe le moindre détachement; mais il n’a pas dérobé le feu du ciel, il ne peut communiquer aux autres son génie, son ardeur, et animer de son seul souille ce limon de la conscription qu’il ne cesse de pétrir. Un simple sénatus-consulte suffit maintenant pour mettre en action cet engin formidable; on appelle une, deux classes en avance, on revient sur deux, trois classes en arrière : il y a des gens qui se sont fait remplacer trois fois et qui ont dû marcher ensuite. L’empereur apprend-il que les jeunes héritiers de quelques grandes familles, retenus par leurs parens, s’écartent des écoles militaires, au mépris des règles de l’avancement il leur envoie des brevets d’officier, singulières lettres de cachet! Tout est bon pour avoir des hommes; quant aux enfans, on les met dans les « vélites, » les « pupilles. » Tandis que la garde s’augmente de régimens non moins braves, mais aussi jeunes et aussi inexpérimentés que les autres, il faut licencier les fameux grenadiers réunis d’Oudinot, ce corps d’élite sans privilèges, pour les éparpiller dans trente-six quatrièmes bataillons qui arrivaient des dépôts avec des soldats levés depuis quelques mois. Dans d’autres bataillons moins bien traités, il faut donner l’épaulette de grenadier ou de voltigeur à ceux des conscrits qui ont le plus vite appris le maniement des armes.