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pour 1867 à plus de 5 millions de francs, auxquels il faut ajouter l’estimation du travail fourni par les deux journées de corvée, que, conformément aux anciennes lois annamites mitigées, chaque travailleur indigène doit au gouvernement. Ces corvées représentent en ouvrage effectué une valeur de près de 900,000 francs.

Néanmoins la révolte qui a éclaté en mars 1866, et qui, réprimée dans les provinces françaises, s’est propagée au Cambodge, n’autorise pas à accorder une pleine confiance à une population habile, ainsi que tous les Asiatiques, à déguiser ses véritables sentimens. Par le fait, bien que l’administration française ait signalé sa présence par d’incontestables progrès, elle s’est principalement attachée à améliorer l’ensemble des institutions, et ce genre de bienfait qui intéresse la masse est pourtant moins vite apprécié par un peuple ignorant que s’il s’agissait de satisfactions matérielles et sensibles accordées aux individus. Le système que les Hollandais ont implanté à Java depuis 1832 a cet avantage, qu’il enrichit le travailleur indigène en même temps qu’il augmente la production dans les conditions les plus favorables à la métropole. Le gouvernement hollandais, soit par lui-même, soit par des tiers auxquels il fait sans intérêt les avances nécessaires, achète au paysan javanais la récolte venue à maturité des produits, canne à sucre, café, thé, etc., qu’il a lui-même désignés. Le prix, indiqué à l’avance d’une manière invariable, est payé au paysan à terme fixe pour chaque mesure de terre dont la récolte a été achetée, quel que soit d’ailleurs le rendement de cette récolte. Toutefois, si le rendement excède une certaine quotité, le paysan reçoit un supplément de prix proportionné à l’excédant. Il est ainsi intéressé à fournir des produits de meilleure qualité. Ce système, dont il n’est possible de donner ici qu’une esquisse imparfaite, et où l’état ne prend d’ailleurs que le soin d’indiquer les produits qu’il achète et d’avancer le prix qu’il en donne, stimule la paresse naturelle à l’Asiatique par le mobile puissant d’un profit certain et connu. L’indigène malais ou cambodgien[1], car il y a une grande différence entre ces deux peuples et les Chinois, qui répugnerait à un travail dont e rapport est subordonné aux chances variables du commerce, à l’aléa de l’offre et de la demande, hésite moins quand il sait que de toute façon sa récolte lui vaudra un profit déterminé.

Le Cambodge, où, dans l’intérêt du commerce français, la culture a si grand besoin d’encouragement, où la population, abâtardie et énervée par une oppression séculaire, ne se réveillera que sous l’ai-

  1. Il ne faut pas oublier que la population de nos provinces est formée d’un mélange de Cambodgiens, de Malais et de Chinois ou Annamites.