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vinces. Après qu’en 1853 les Anglais, maîtres du Pégu et des provinces de Martaban et de Ténasserim, se furent constitués les protecteurs du reste de la Birmanie, Siam, forcé de renoncer à toute idée d’agrandissement sur sa frontière de l’ouest, porta des vues d’autant plus ambitieuses à l’est, vers le Mékong. L’Annam, assailli par la France, lui parut hors d’état de s’opposer désormais à ses projets de conquête. Les mandarins siamois pénétrèrent dans le Cambodge, dont Siam revendiquait depuis longtemps la suzeraineté avec plus de persistance que de succès. Ils s’installèrent auprès du roi à Houdon, désignèrent à sa mort celui de ses enfans qu’ils entendaient lui donner pour successeur, et, favorisés peut-être par l’affinité de la race et des institutions, agirent tout à fait en maîtres dans le pays. Déjà ils songeaient à prendre possession de Namvang, et, obéissant aux mêmes désirs que les Annamites, ils réclamaient au nom du Cambodge, qu’ils comptaient bien maintenir sous leur dépendance, la restitution des provinces ouest de la Basse-Cochinchine où sont enfermées les embouchures du bras de Bassac et le canal de Hatien.

Les avantages que la position de Namvang offre au double point de vue commercial et politique avaient frappé tous ceux qui dirigèrent successivement notre expédition. S’il était dangereux pour l’établissement français de Saigon de rendre aux Annamites, voisins déjà embarrassans à l’est et à l’ouest, la suzeraineté du Cambodge sur la frontière du nord, on reconnut que les prétentions des Siamois pouvaient devenir tout aussi périlleuses. A Siam en effet domine l’influence d’une autre puissance européenne, alliée de la France il est vrai, et dont rien n’autorise à suspecter la bonne foi et l’amitié, mais dont le commerce n’en a pas moins dans ces parages des intérêts rivaux du nôtre. Déjà les Siamois connaissent le chemin de Singapour, déjà les produits anglais ont pénétré à Siam en certaine abondance. Fallait-il, au détriment de Saigon, leur abandonner le marché du Cambodge, rapproché du golfe de Siam et de Bangkok par le bras ouest du Mékong et le canal de Hatien.

Obligée d’agir sans retard pour ôter à la domination siamoise le temps de s’asseoir au Cambodge, la France prit le parti de s’en attribuer à elle-même le protectorat. Un traité signé à Houdon (août 18G3) entre l’amiral de La Grandière et le roi du Cambodge, Norodom, consacra la suzeraineté de la France sur toute cette partie du bassin du Mékong; les Siamois conservèrent néanmoins les deux provinces de l’ouest. Quant à l’Annam, il resta déchu de tout droit.

Ainsi la France se trouve aujourd’hui dans la situation d’où l’Annam est parti pour s’avancer à l’ouest du Mékong, jusqu’au golfe de Siam; mais outre que l’Annam, tout voisin qu’il fût de sa con-