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couler de la possession même de toutes les côtes. Maître des embouchures du fleuve, il s’attribuait des droits sur le cours des deux bras jusqu’à Namvang et à la cataracte. Siam, qu’une organisation militaire et politique moins vigoureuse rendait incapable de lutter contre l’Annam, essaya vainement de contester ces prétentions ; les droits qu’on y invoquait n’avaient pas d’ailleurs de fondement plus légitime, et la force ne pouvait les appuyer ; c’est à peine si les Siamois s’avancèrent timidement dans les provinces de l’ouest, près du grand lac, que les Annamites ne leur eussent probablement pas laissées. En effet, aux yeux de l’Annam, la suzeraineté du Cambodge n’était que le prélude d’une annexion complète. Les mêmes moyens dont il avait usé en Cochinchine, il commençait à les employer dans le Cambodge. Des sujets annamites s’établirent en grand nombre en dedans des frontières cambodgiennes : le roi Minh-Miang essaya d’imposer aux rois de Houdon une administration annamite ; mais les haines de race se soulevèrent, les mandarins partis de Hué furent massacrés. Minh-Miang et son successeur Tu-Duc renoncèrent momentanément à étendre leur conquête.

Ainsi, tout imparfaitement qu’elle soit connue, l’histoire du pays où la France s’est établie nous apprend que pendant une longue suite de siècles tout le sud du bassin du Mékong, de la cataracte à la mer, a formé un état unique, et que les conquérans qui nous y ont précédés, après s’être arrêtés ainsi que nous à l’est du grand fleuve, n’ont pas tardé à considérer comme indispensable une extension de conquête qui, mettant entre leurs mains tous les débouchés du fleuve, les renfermât dans les mêmes frontières que sous les plus anciens possesseurs. Le livre du mandarin Trang-hoï-duc établit qu’aux yeux du gouvernement annamite les territoires arrachés au Cambodge et annexés pièce à pièce à l’Annam constituaient un ensemble indivisible dont aucune partie ne pouvait sans inconvénient se détacher, et qui devait même se compléter par la réunion du reste de l’ancien Cambodge ; mais le but des conquérans annamites, ce n’était pas l’extension du commerce qui, lorsque rien ne l’entrave, trouve autant de bénéfice à opérer chez des peuples alliés que sur des territoires conquis. En ce point, la conquête française diffère essentiellement de celle de l’Annam.

L’expédition française coupa court aux projets ambitieux que l’on caressait à Hué : tout d’abord les Siamois se disposèrent à prendre la place des Annamites. Depuis longtemps, les rois de Bangkok visaient à pénétrer dans le bassin du Mékong. En 1834, profitant d’une révolte de la Basse-Cochinchine contre Hué, ils avaient réussi à établir dans les deux provinces cambodgiennes de Battambong et d’Angcor des fonctionnaires siamois chargés d’administrer ces pro-