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chine, s’était fortement mélangée de sang chinois. Aussi, tout en luttant pour reconquérir son indépendance, s’assimilait-elle entièrement les mœurs, les usages et les institutions de la Chine, et quant au XIVe siècle l’Annam réussit enfin à se constituer en état séparé, il n’en resta pas moins, on peut le dire, un calque complet de l’empire du Milieu. Le code annamite, que nous connaissons par une traduction récente[1], est emprunté aux lois chinoises de la dynastie des Ming. Les coutumes, les usages sont chinois. La religion officielle est, comme en Chine, la religion de Confucius, mêlée de pratiques superstitieuses. L’écriture et la littérature chinoises sont seules adoptées, du moins par les hautes classes. La langue annamite n’existe que comme langue parlée[2]. Il y a bien quelques petits poèmes écrits, mais le peuple seul les connaît et les répète; les lettrés et les mandarins affectent de les ignorer. C’est par une innovation toute récente que nos missionnaires ont essayé de reproduire au moyen de l’alphabet en vingt-quatre lettres les mots de la langue annamite. Une organisation plus vigoureuse et mieux adaptée au caractère national assura bientôt à l’Annam, malgré ses divisions intérieures, une supériorité marquée sur les états voisins du Cambodge et de Siam. Il en profita pour s’introduire dans le bassin du Mékong, pour établir, non sans résistance, sa suzeraineté sur le Cambodge, et même pour lui enlever pièce à pièce la possession des territoires de la Basse-Cochinchine, les mêmes dont la France occupe aujourd’hui une partie. Un haut fonctionnaire annamite, le mandarin Trang-hoï-duc, lieutenant du vice-roi de Cochinchine, a pris soin de retracer dans un livre écrit vers 1830[3] les phases diverses de cette conquête.

Le récit débute en ces termes : « Dans le commencement de la dynastie actuelle (1650), les divers empereurs d’Annam n’avaient pas encore jeté leurs vues sur le Cambodge. Ce pays, situé aux limites sud de l’empire, offrait simplement et sans interruption le tribut habituel. » La suzeraineté, d’ailleurs contestée du Cambodge, ne suffit pas à l’ambition des souverains annamites. Ils préparèrent de longue main l’annexion de la Basse-Cochinchine. « Déjà la province cambodgienne de Bienhoa était habitée par des Annamites

  1. Publié à Paris en 1865 par M. le capitaine de frégate Aubaret, actuellement consul de France à Siam.
  2. Il en est autrement au Cambodge, dont la civilisation provient d’une autre source. La langue de ce pays dérive du sanscrit et ressemble au pâli de l’Inde, dont elle a à peu près l’alphabet. La race annamite diffère à beaucoup d’égards des autres peuples de l’Indo-Chine.
  3. Histoire et Description de la Basse-Cochinchine, traduite par M. le capitaine de frégate Aubaret; Paris 1863.